La règle de la non-rétroactivité de la loi est au cœur du débat depuis que des Chefs d’Etat africains qui sont au terme de leur deuxième et dernier mandat se fondent sur l’adoption de nouvelles constitutions dans leurs pays respectifs pour briguer un troisième mandat qui n’était pas permis par les précédentes constitutions. Ils prennent pour argument le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle (la nouvelle constitution).
Toute règle de droit, tout principe juridique repose sur un fondement. Le fondement d’une règle ou d’un principe de droit, c’est sa justification, c’est-à-dire le pourquoi de cette règle ou de ce principe, sa raison d’être. Et si on était amené à faire une interprétation téléologique de la règle, il s’agirait de la finalité de la règle.
En droit guinéen, on trouve le principe de la non-rétroactivité de la loi aussi bien en matière pénale qu’en matière civile. Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale est le corollaire du principe de la légalité des délits et des peines. Ce principe est formulé à l’article 9 alinéa.1er de la Constitution de 2010 aux termes duquel ” Nul peut être arrêté, détenu, ou condamné qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés”. Et l’article 6 alinéa.1er du Code pénal reprend le même principe en ces termes: “Seuls sont punissables, les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis”. Concrètement, il n’y a ni crime, ni peine sans texte”. Mais il ne servirait à rien qu’une poursuite ne puisse être engagée que sur la base d’un texte si ce texte pouvait être promulgué pour les besoins de la cause, après que le fait poursuivi a été accompli. D’où le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale.
Ce principe, de même que celui de la légalité dont il est le corollaire, est une garantie pour la liberté des citoyens et donc contre l’arbitraire. Il serait choquant que l’on invoque contre un citoyen une norme qui n’existait pas au moment où se produisaient les faits qui lui sont reprochés. Le citoyen doit connaître ou prévoir, quand il agit, les conséquences possibles de ses actes sur le plan de la répression. Par exemple, il doit y avoir au préalable une norme qui sanctionne le fait de soustraire frauduleusement le bien d’autrui pour que l’auteur d’un tel acte soit poursuivi et puni pour vol. L’existence préalable de la norme est un avertissement pour le citoyen. Si une loi nouvelle devait s’appliquer à un citoyen pour des faits qu’il a commis avant l’existence de cette loi, ce serait une grave insécurité juridique pour lui. Telle est le fondement du principe de la non- rétroactivité de la loi pénale tiré du principe de la légalité. Ces deux principes ont une valeur constitutionnelle.
En matière civile, ce même principe de la non- rétroactivité est posé par l’article 7 du Code civil qui dispose que: « La loi ne dispose que pour l’avenir; elle n’a point d’effet rétroactif. »
Dire que la loi ne dispose que pour l’avenir, signifie qu’une loi est sans application aux situations juridiques dont les effets ont été entièrement consommés sous l’empire d’une loi précédente. La loi ne dispose que pour l’avenir veut dire qu’à partir du moment où une loi est en vigueur, elle régira les situations nées ou à naître postérieurement à son entrée en vigueur.
Ce principe a un double fondement. Il concerne en effet le citoyen et la loi elle-même. En ce qui concerne le citoyen, il s’agit de le protéger contre la loi. En effet, lorsqu’une loi est en vigueur et que le citoyen s’y est conformé, il n’y aurait pas de sécurité pour lui si une nouvelle loi pouvait remettre en cause les actes qu’il avait régulièrement posés. C’est pour éviter cette situation d’insécurité qu’il a été consacré le principe selon lequel la loi n’a pas d’effet rétroactif. Les actes posés conformément à une loi en vigueur doivent rester intacts ; ils ne doivent pas être remis en cause par une loi nouvelle. Ce principe est posé également dans l’intérêt de la loi elle-même. Lorsqu’un citoyen qui a agi en conformité avec une loi voit ses actes remis en cause par une loi nouvelle, il rechignerait désormais à se conformer à la loi en vigueur de peur qu’une loi postérieure ne remette en cause les actes qu’il avait posés.
La loi perdrait ainsi son efficacité en ce sens qu’elle souffrirait d’inapplication.
On voit ainsi, que ce soit en matière pénale ou en matière civile, que le principe de la non-rétroactivité de la loi vise à protéger le citoyen contre l’arbitraire pouvant résulter de l’insécurité juridique qui, elle-même, résulterait du fait qu’il ne pouvait pas connaître le contenu d’une loi qui n’existait pas.
Essayons maintenant d’appliquer ce principe à la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Le Pr Martin Bléou a fait une analyse de la question en démontrant que le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle ne peut s’appliquer à la limitation du nombre de mandats dès lors que la disposition de la nouvelle constitution relative à cette question n’est pas une disposition nouvelle puisqu’elle n’est que la reconduction dans la nouvelle constitution d’une disposition qui figurait déjà dans l’ancienne constitution. Elle était donc connue ou censée être connue de tous.
Mais au-delà de cette analyse au demeurant très pertinente, il faut s’interroger sur le fondement de la règle de non- rétroactivité des dispositions d’une nouvelle constitution et en particulier celle relative à la limitation du nombre de mandats présidentiels. Un Chef d’Etat qui a déjà exercé deux mandats ne se trouverait dans aucune situation d’insécurité juridique si, en dépit de l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution, ces mandats devaient être pris en compte pour appliquer à son égard la règle de la limitation du nombre du mandat présidentiels. Il savait en effet que la constitution sur la base de laquelle il a été élu lui interdisait d’exercer plus de deux mandats. Le principe de la non-rétroactivité permet au citoyen de ne pas se retrouver face à une situation qu’il ne pouvait prévoir à un moment donné puisqu’elle n’était pas prévue par la loi en vigueur. Tel n’est pas le cas d’un Chef d’Etat qui a été élu pour un nombre déterminé de mandats. Il savait que la nouvelle constitution qu’il a lui-même initiée prévoirait la limitation du nombre de mandats présidentiels de la même manière que celle-ci était prévue par l’ancienne constitution.
Établir simplement une nouvelle constitution parce que celle en vigueur ne permet pas de briguer un troisième mandat et invoquer par la suite le principe de non- rétroactivité de cette nouvelle constitution relève d’une fraude à la loi ou à la constitution. Elle consiste ici à s’octroyer par un changement de constitution ce qu’on ne pouvait obtenir par une révision ou par un amendement de la constitution en vigueur. C’est comme un voleur qui, ne pouvant pas entrer dans une maison par la porte ou la fenêtre, y accède par le toit. C’est le cas encore d’un ivrogne dont les parents menacent de le maudire s’il touchait à une boîte ou une bouteille d’alcool et qui se fait servir de l’alcool dans un verre en prétextant que le verre n’est pas une bouteille ni une boîte. Le résultat serait exactement le même.
Me Mohamed Traoré