Les récents événements au Mali montrent au grand jour les complicités malsaines de certains chefs d’Etat de la CEDEAO. La promptitude avec laquelle les dirigeants ont dénoncé la radiation d’un de leur collègue décrié montre leur mépris des aspirations des citoyens. La véhémence de leurs condamnations est à rapprocher avec les euphémismes par lesquels ces mêmes chefs d’Etat s’accommodent du coup d’état d’Alpha Condé. Les chefs de la Combine des Etats de l’Afrique de l’Ouest ont créé de fait un système de poids et de mesures multiples. Quand les coups d’état sont le fait des compères présidents, la diplomatie est de règle. Quand ces coups d’état couronnement la révolte légitime du peuple qui les acclame, c’est le bâton des sanctions qu’il faut sortir. Les leaders de la CEDEAO se moquent des centaines de citoyens maliens, guinéens, ivoiriens, burkinabè et d’ailleurs – seuls dépositaires de la légitimité et de la légalité – qui payent de leurs vies pour l’émergence de la démocratie. Tant que l’ordre électoraliste que certains présidents manipulent à leur guise est maintenu, il n’y a pas à redire.
Quand Alpha Condé préparait son coup d’état constitutionnel, une mission de la CEDEAO avait déclaré que le fichier électoral comporte des lacunes qui ne pouvaient pas garantir une élection viable. Pour ne pas cautionner une mascarade électorale, la CEDEAO ne jugea pas utile d’envoyer des observateurs en Guinée. Néanmoins, par suite du scrutin douteux et sanglant du 22 mars 2020, l’organisation régionale sortit une déclaration dans laquelle elle prit « acte du double scrutin ». Elle nota lapidairement « les violences ont émaillé le double scrutin et qui ont entraîné des pertes de vies humaines et de nombreux blessés. »
Dans le même communiqué, la CEDEAO rappela sa disponibilité pour « faciliter le dialogue entre tous les acteurs guinéens, gage de paix et de développement pour le peuple ». Le communiqué ne fit pas mention de la préméditation des crimes commis qui avait été pourtant rappelée par plusieurs organisations de la société civile. Le communiqué ignora le fait que le seul gage de paix et de développement, c’est la justice. Il n’était assorti d’aucun mot sur le soulagement des victimes, ni de demandes de justice en leur faveur.
Alors que la Guinée s’engloutit dans cette crise profonde fabriquée de toutes pièces par Alpha Condé, la CEDEAO ferme les yeux. Le spectre de crimes barbares contre des citoyens guinéens qui ne font qu’exercer leurs droits n’aura pas empêché la CEDEAO d’appeler au ‘dialogue’. L’organisation sous-régionale trahit de ce fait ses propres dispositions légales, notamment le Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Ce protocole interdit explicitement les changements de constitutions visant à se maintenir au pouvoir. Les dispositions légales sont assorties de sanctions et de recours armé par la CEDEAO afin de déposer les gouvernements délinquants de la communauté.
L’attitude de la CEDEAO par rapport au coup d’état constitutionnel en Guinée est d’autant plus accablante qu’avant les massacres de mars 2020, des guinéens de tout bord, regroupés sous le Front National de Défense de la Constitution (FNDC), avaient cru pouvoir utiliser ces dispositions légales. Le FNDC fit un recours devant la Cour de justice de la CEDEAO afin d’empêcher le président Alpha Condé de faire voter une nouvelle constitution et de briguer un troisième mandat.
Comme plus d’une quarantaine de citoyens innocents avaient été assassinés dans la préparation du coup d’état, le recours du FNDC était en urgence pour la suspension du référendum en attendant que la Cour puisse statuer sur les violations de la bonne gouvernance et des droits de l’homme. La Cour de la CEDEAO rendit un verdict vague. Et pourtant, une décision favorable de la Cour sur la suspension des élections ou un simple communiqué de la commission exécutive sur l’illégalité de l’entreprise de M. Alpha Condé vis à vis des lois de la CEDEAO aurait permis d’éviter les assassinats qui suivirent. M. Alpha Condé interpréta la démission de la CEDEAO comme un assentiment. Il se sentit libre de poursuivre son plan et de mettre à exécution la promesse faite en octobre 2019 de tuer s’il le faut. Il commandita des massacres ethniques ciblés dont le bilan s’élève à plus de 150 morts.
À la suite de ces massacres, ni la Cour de la CEDEAO, ni l’Exécutif n’en condamnèrent la cause majeure : le coup d’état constitutionnel. Actuellement, pour cause de pandémie officiellement, le recours qui demande l’application des règles de la gouvernance est en suspens.
La gouvernance en Guinée n’est que du banditisme d’état basée sur la déliquescence de la justice. Beaucoup de guinéens voyaient en la CEDEAO un recours face à cette situation. On constate plutôt que la CEDEAO est entrain de parachever la trahison de sa mission et de sa raison d’être. Son appel au dialogue en Guinée, dépourvu de conditions et de demandes de justice, la déconsidère aux yeux des victimes des violences d’état et des populations en général. La CEDEAO a réduit sa mission de démocratisation de la vie politique régionale en un sacro-saint électoralisme qui permet à certains leaders de la communauté de subordonner le processus démocratique à leurs calculs politiciens.
IB