Hier, ils n’avaient en commun que leur volonté de changer la constitution de leurs pays respectifs, mais leur silence pesait déjà très lourd sur leurs peuples. Alpha Grimpeur et Alassane Dramane Ouattara ne s’accordaient que pour se taire. ADO voulait réviser la loi fondamentale ivoirienne pour partir. Et laisser le pays dans des mains « aussi expertes que convenables. » Alpha, lui, cherchait à s’entourer d’une sécurité telle que sa main droite, à l’instar de celle d’Harpagon, puisse soupçonner celle de gauche de complot permanent. Pour une alerte instantanée. Il ne lui déplairait jamais de grimper au sommet d’un pouvoir qui dure aussi longtemps que celui de Yoweri Museveni, de Paul Biya. Ou les deux réunis.
Aujourd’hui, les deux présidents, guinéen et ivoirien, restent muets comme une carpe. De la même manière. Celle qui frise la même malhonnêteté. Quasiment pour les mêmes raisons. Jusque-là, personne n’a entendu Alassane Ouattara déclamer des litanies sur le 3è mandat. Il avait carrément rassuré ses interlocuteurs de tous horizons qu’il ne pouvait être que sur le départ. Pour la gloire d’un mandat bien rempli. D’un travail bien accompli. Les certitudes semblaient telles que les Arabes le voyaient déjà PDG d’un fonds de prestige qui ne souhaitait se faire diriger que par un ex patron d’une boîte aussi prestigieuse que la BCEAO ou le FMI. Avec le statut d’ancien président d’un pays aussi prestigieux que la Côte d’Ivoire. Alassane n’avait donc déplacé les virgules de la constitution ivoirienne que pour mieux partir. Il n’a pas beaucoup parlé, même pour dire au-revoir à Macron.
A l’inverse, le silence d’Alpha Grimpeur ne relève pas des mêmes raisons. Le Guinéen le moins sensible à la politique politicienne et à la gabegie administrative sait que le Grimpeur ne s’est résigné au silence que par nécessité. Toutes les actions qu’il a menées dans ce silence forcé concourent à sécuriser un pouvoir encore plus absolu. Les plus visibles, les plus criardes, les plus décriées de ces actions n’ont consisté qu’à lui assurer la totale maîtrise des institutions qui garantissent l’indépendance et la souveraineté du pays sans État dont il a si heureusement hérité. Avec un Etat même indigne de nom, Alpha n’aurait jamais accédé au pouvoir. Aussi, n’y a-t-il pas mis la forme pour vider Kéléfa Sall de la Cour Constitutionnelle. Et émasculer la CENI de la plus belle des manières. N’est-ce pas celle-ci qui le proclame vainqueur sans gloire? N’est-ce pas celle-là qui le confirme, les yeux rougis? Vous pouvez aller au diable avec les cosmétiques des urnes. Surtout que les détenteurs des armes ne vous ont pas à cœur. Comme le dit le proverbe, savoir bien attacher ne consiste point dans le nombre de cordes en votre possession, mais à l’endroit où vous déciderez de les placer.
Paradoxalement, par un concours de circonstances, voilà Alpha et Ado dans la même tabatière. Pour conquérir le même pouvoir. Dans le même mutisme, doublé de la même illégalité. Pour dissimuler la même bêtise. Celle de croire qu’ils sont les seuls aptes à diriger leurs pays. Que dis-je, un pays et demi que forment la Côte d’Ivoire et la Guinée. Deux présidents avides d’un pouvoir appelé forcément à tourner à vide. Nietzsche n’a encore rien dit.
DS