Mali : L’imam, Mahmoud Dicko, la figure de proue de l’opposition
Mali : L’imam, Mahmoud Dicko, la figure de proue de l’opposition

Le dignitaire religieux, soutien du président Keïta lors de la présidentielle de 2012, est parvenu à rassembler contre ce dernier des partis venus de tout le spectre politique.

(Par Matteo Millard, Correspondant de Le Monde)

Devant les foules immenses venues l’écouter, il ne se présente plus que drapé dans un boubou blanc, couleur de la pureté en islam et de la probité en politique. L’imam Mahmoud Dicko aime jouer sur les deux tableaux. Depuis qu’il a pris la tête d’une coalition composite mêlant partis politiques et mouvement religieux début juin, appelée «Mouvement du 5 juin», un vent de panique parcourt l’échine du pouvoir malien. Il faut dire que le prédicateur sait exalter les nombreuses frustrations d’une population rassemblée par dizaines de milliers lors de manifestations qu’il orchestre d’un verbe assuré.
«Le chef de l’Etat n’a plus les aptitudes physiques et mentales pour diriger le pays. Ibrahim Boubacar Keïta doit partir». Le 19 juin, pour la deuxième fois du mois, un tonnerre d’applaudissements vient gonfler encore l’influence expansive de celui qui se décrit d’abord comme «un patriote». En une vingtaine d’années, cet imam rigoriste, tenant d’un salafisme minoritaire, est devenu un personnage central de la scène malienne.
Dans un pays à 95 % musulman, dominé par le syncrétisme de l’islam malékite, les prêches de Mahmoud Dicko dépassent largement l’enceinte de sa mosquée. Ils abondent dans les marchés, ricochent au coin des rues, résonnent dans les radios et, depuis quelques années, atteignent l’oreille attentive du pouvoir malien.
Aujourd’hui, alors que le Mali traverse une crise sociopolitique sans précédent, où se joignent la contestation des résultats aux législatives d’avril, la fatigue d’une corruption croissante, l’inertie de l’économie, les victimes toujours plus nombreuses des attaques djihadistes au nord et des violences intercommunautaires au centre, l’imam Dicko impose sa voix au cœur de la contestation.
S’il a pu devenir le fer de lance d’un mouvement couvrant tout le spectre politique, y compris des adversaires d’hier, c’est parce que «nous avions besoin d’une autorité morale», confie l’un des leaders de l’opposition. L’imam Dicko est «une voix respectée des Maliens», souligne-t-il, n’appartenant pas à une classe politique discréditée par d’incessantes transhumances.
«Aucun parti n’a sa capacité de mobilisation sociale, ajoute le chercheur Aly Tounkara. Il est très attentif aux attentes des populations, à leurs frustrations dont il se saisit pour redorer son image. Les acteurs politiques profitent de son influence pour accéder au pouvoir et, lui, utilise cette proximité pour augmenter son influence religieuse auprès des Maliens.»
Il la cultive depuis sa formation dans les écoles coraniques mauritaniennes et saoudiennes où il apprend un islam wahhabite, courant dont il se récuse, préférant le terme de «sunnite». Défenseur du dictateur Moussa Traoré, il s’opposera à son renversement par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré en 1991. Dix ans plus tard, sa nomination à la présidence du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) le projette sur le devant de la scène.
Voyant croître le pouvoir des prédicateurs dans la société malienne, le gouvernement décide de créer cet organisme afin de canaliser leur influence. « Ils leur servaient de caution morale dans la prise de décision, explique Baba Dakono, analyste à l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité. Mais, en leur offrant ce cadre institutionnel, leur influence a vite débordé le mécanisme de régulation. »
En 2009, l’imam Dicko réussit son premier coup d’éclat politique. En mobilisant de nombreux fidèles, il obtient la suspension d’un nouveau code de la famille offrant plus de droits aux femmes. Il se pose dès lors comme un pivot incontournable des questions sociales. Suivront de nombreuses prises de position qui enflamment l’opinion publique.

Des valeurs en partage avec des djihadistes

Après l’attentat de 2015 qui a fait vingt-deux morts à l’hôtel Radisson Blue de Bamako, il affirme que le terrorisme est un « châtiment divin » contre « la promotion de l’homosexualité, importée d’Occident et qui prospère dans notre société ». En 2018, ce sont des manuels scolaires contenant un programme d’éducation sexuelle qui font les frais du prédicateur qui y voit la promotion dangereuse de mœurs dévoyés et une « valorisation de l’homosexualité ».
Elu en 2012 avec le soutien de l’imam, le président Ibrahim Boubacar Keïta ne s’oppose pas à son influence grandissante. Au début de son mandat, il confie même à son « ami » la tâche de négocier la libération d’otages avec les chefs djihadistes Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Des salafistes avec lesquels l’imam partage quelques valeurs, bien qu’il s’oppose fermement à l’utilisation de la violence. Mais la relation se détériore et Mahmoud Dicko devient un critique virulent du pouvoir d’IBK, jusqu’à pousser le premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga à la démission en 2019.
Dans les couloirs du palais présidentiel de Koulouba et dans ceux des ambassades étrangères, on craint de voir l’imam prétendre à des ambitions présidentielles. « De nombreux collègues pensent que, s’il prend le pouvoir, il tentera de modifier la Constitution afin d’y insérer des lois de la charia et transformer la République malienne laïque en République islamique sur le modèle mauritanien », confie un diplomate européen.
« Peu probable, rétorque Thomas Schiller, représentant Sahel du groupe de réflexion allemand Konrad Adenauer Stiftung. Mahmoud Dicko est un faiseur de rois. Mais s’il s’engage en politique, plus personne au Mali ne l’acceptera comme figure religieuse…»
« Jamais l’imam ne remplacera le minbar [la chaire du sermon islamique] par le fauteuil présidentiel », assure-t-on au siège de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS). Pourtant, dans l’enceinte de cette organisation politico-religieuse créée en 2019, le prédicateur tient régulièrement des meetings politiques et des conférences de presse, compléments à ses prêches dans la mosquée de Badalabougou.
Il y critique « une gouvernance qui s’oppose au peuple », fustige « un pouvoir qui n’a plus de solution » ou félicite les militaires « qui ont perdu la confiance d’IBK ». On pourrait croire à la provocation lorsqu’il affirme que « c’est l’Etat qui a abandonné le Mali, non les djihadistes qui l’ont pris en otage ».
Difficile pourtant de lui opposer des incohérences. Comme sa barbichette qui n’a que blanchie, son discours n’a presque pas changé depuis les années 1980. « Il a toujours défendu le caractère laïque et républicain du Mali », avance M. Tounkara. Devant ses fidèles, il en appelle sans cesse au « génie du vivre-ensemble malien ». Après les avoir galvanisés depuis l’estrade lors de la manifestation du 19 juin, il leur a demandé de ne pas user de violence. Tous ont obéi.
« Que le président démissionne ou non, Dicko a déjà gagné, soutient M. Dakono. Il ne sera probablement pas président, mais il s’est assuré une place de premier plan auprès du pouvoir. S’il peut exister aujourd’hui, c’est que le pays a trop longtemps souffert de l’absence de cadre d’expression démocratique. Les frustrations ont perduré jusqu’à la rupture de confiance entre les citoyens et l’élite politique ». Une brèche dans laquelle l’imam Dicko et ses alliés politiques ont tôt fait de s’engouffrer.

M.M