Suite à la candidature d’Alpha Condé, les avis sont partagés sur l’appellation de ce nouveau mandat. Troisième mandat ? Premier mandat d’une énième République ? Un juriste a tenté de répondre à deux questions au centre de ce débat à savoir:
– Quels sont les critères pour passer d’une République à une autre?
– Un changement de constitution équivaut-il nécessairement à un changement de République ?
Quelques aspects de la polysémie du concept « République »
Le terme République désigne suivant l’étymologie du mot, (res publica) c’est-à-dire, « la chose publique, la chose de tous ». Le vocabulaire technique et critique de la philosophie entend le mot République suivant un sens primitif et un sens contemporain. Suivant le premier, la République signifie l’État. Suivant le second, elle (République) renvoie à tout État qui n’est pas monarchique. En ce sens, elle désigne une forme de gouvernement dans laquelle la fonction de chef d’État n’est ni héréditaire, ni viagère.
Si la République s’oppose à la monarchie, elle ne saurait « se confondre avec la démocratie ». Car, « une monarchie peut être démocratique ». Si le concept est ainsi utilisé comme un synonyme d’Etat de droit, de démocratie libérale, c’est parce que la République repose fondamentalement sur l’égalité entre les individus (W. Mager, « République », Arch. de ph. du droit, t. XXXV, 1990, p. 273). Suivant ce dernier sens, le terme République désigne « une forme de gouvernement qui repose sur un fond constitué de normes, de principes, de valeurs et de croyances » (Favoreu, P. Gaïa et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2014, p. 124).
C’est en vertu de cette conception que la République peut prendre des formes « laïque, sociale, démocratique, populaire, révolutionnaire ou indivisible) qui sont évidemment ceux d’une République donnée et non les caractères invariants de toute République » (J. R. Keudjeu de Keudjeu, « Citoyenneté et République dans le constitutionnalisme africain », Revue CAMES/SJP, n° 001, 2016, pp. 104 sq).
De même, le terme République renvoie également à l’État ainsi gouverné. C’est ainsi qu’on parle de « procureur de la République », de « président de la République ». Cette synonymie entre République et État donne du sens au fait que certains pays utilisent le terme République dans leur appellation officielle : « République française, République de Guinée, République islamique de Gambie », «République-Unie de Tanzanie» (Nanamountougou M.-A, op. cit.)
Des questions en lien avec les critères du changement de République
La question de savoir si un changement de constitution équivaut nécessairement à un changement de République repose sur le postulat suivant lequel, « l’avènement d’une nouvelle République a systématiquement comme support juridique une nouvelle Constitution et l’adoption d’une nouvelle Constitution par une République qui en possédait une, est synonyme de changement de République ». (Nanamountougou M.-A, op. cit.). La première branche du postulat n’est pas inexacte. En ce sens, de nos jours, la Constitution représente le support de la consécration de la République.
Le second est à nuancer. Car, si le changement de constitution PEUT déterminer un changement de République, tout changement de constitution n’a pas le même effet. Pour ainsi avoir cet effet, le changement doit reposer sur une mutation significative de l’ordre constitutionnel nouveau. Autrement dit, le seuil des changements apportés à la nouvelle constitution doit être très élevé au point de modifier de manière importante le nombre d’institutions, leur fonctionnement tel qu’il sert à définir la nature du régime politique, l’étendue des droits et libertés etc.
Il ne suffit ainsi pas d’invoquer et de suivre la procédure d’un changement de constitution, pour que la Constitution qui en résulte change ipso facto de République. Dans ces conditions, l’attitude consistant à considérer la Constitution de 2020 comme ayant consacré une nouvelle République appelle un étonnement, étant entendu la modicité des innovations constitutionnelles apportées. Nul besoin de relever, en conséquence, l’impertinence de l’idée consistant à déterminer les Républiques à l’aune du nombre de Présidents ayant dirigé un Etat. Autrement dit –le propos peut paraître répétitif – l’on ne définit pas le nombre de Républiques au regard du nombre de Présidents ayant dirigé l’Etat, mais au regard du nombre de Constitutions adoptées, tant que chacune d’elle apporte des changements d’une réelle importance par rapport à l’ancienne (au plan institutionnel, des droits et libertés). (Ex. constitutions de 1958 par rapport à la Loi fondamentale de 1990).
Convient de relever, en définitive, que la numération des Républiques (1e, 2e, 3e, 4e) est sans valeur juridique. Elle a pour seul intérêt de faciliter l’étude des institutions durant une certaine durée. C’est-à-dire, de l’adoption d’un texte constitutionnel ayant introduit des réformes importantes à son abrogation. Dire que la numérotation est sans valeur juridique n’est pas dire que les changements qu’elle désigne sont sans conséquences juridiques.
Jean Paul Kotembedouno,
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne