Dans un mémorandum du 27 juillet cosigné du vice maire de N’Zérékoré et adressé au Prési Alpha Grimpeur, il est demandé des postes de responsabilité, l’intégration à la fonction publique, des contrats au profil de la communauté Konia. Le doc de neuf pages accuse Sékou Souapé Kourouma de « comportement ambigu » et de rouler pour sa communauté Guérzé. Joints par Le Lynx, les auteurs du mémo bégayent, sans convaincre.

A son accession au pouvoir en 2010, Alpha Grimpeur disait avoir « hérité d’un pays et non d’un Etat ». Dix ans après, il a refondé l’Etat sur des bases communautaires, avec une administration politico-ethnique. Pour bénéficier de nomination ou de promotion, plus besoin d’être compétent : il suffit d’être de l’ethnie et du parti au pouvoir. Au moment où la Guinée s’achemine vers la sélection présidentielle du 18 octobre, l’ethno stratégie a le vent en poupe.

Apparemment ragaillardie par l’élection d’un de ses fils au perchoir, Amadou Damaro Cas-marrant, la communauté Konia de Nzérékoré se fait entendre. Un mémorandum en date du 27 juillet signé d’un certain Bangaly Bayo et de Yacouba Camara, intitulé « Contribution de la jeunesse Konia à la consolidation de la paix et au renforcement du RPG/AEC en milieu Konia » s’est retrouvé sur la place publique. Destinataire : le Prési Alpha Grimpeur.

Le mémo est accompagné d’un soit-transmis du gouverneur de Nzérékoré, Mohamed Gharé, à son patron hiérarchique, le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, daté du 10 août. Il a été reçu le lendemain au MATD, enregistré sous le numéro 2287 et cacheté. A charge pour Bouréma Condé de transmettre à son tour le mémo à son destinataire final : le locataire du Palais Sékhoutouréya.  

Sékou Souapé pris pour cible

S’adressant à ce dernier, le doc attire l’attention d’Alpha Grimpeur sur « la triste situation sociopolitique que nous traversons suite aux fâcheux événements des 22 ; 23 ; 24 et 25 mars 2020 consécutifs au double scrutin législatif et référendaire à Nzérékoré ». A cette occasion, les auteurs du mémo déplorent des pertes humaines et matérielles au préjudice du Konia. A l’instar des « affrontements meurtriers de 1991 qui avaient fait près de 500 morts et des dégâts matériels importants du côté de la communauté Konia ». Deux affrontements aux relents politico-ethniques, voire confessionnels, entre les communautés Konia (musulmans) et Guerzés (généralement chrétiens) qui peuplent Nzérékoré.

Les auteurs du mémo s’en prennent à Sékou Souapé Kourouma. Ils reprochent à ce Guerzé, cacique du RPG et compagnon de longue date d’Alpha Grimpeur, de mener « des démarches de séduction politique » envers des membres de sa communauté soupçonnés d’être à la base des exactions commises en marge du double scrutin du 22 mars. Ils l’accusent de « comportement ambigu » qui consiste à faire adhérer au RPG Cécé Loua, coordinateur régional de l’UFR de Sid Touré (opposition) et ses parents. Autre grief : la libération de Fassou Gomou, membre influent du Front national pour la défense de la Constitution qui était détenu à Kankan à la suite des violences post-électorales. Officiellement pour des raisons médicales. Officieusement, ce dernier aurait été libéré contre son adhésion au RPG. Même qu’il se vanterait partout de s’être entretenu avec Alpha Grimpeur.

Une nation Konia ?

« Ce n’était pas le moment pour quelqu’un du rang de Monsieur Sékou Souapé Kourouma d’aller organiser un festin politique révoltant dans un contexte sociopolitique fragile et délétère, sous prétexte de l’adhésion d’une infime minorité de militants d’opposition au détriment de l’écrasante majorité de Konians traditionnellement acquis au RPG et à votre vision politique », lit-on dans le mémo. Et de renchérir : « La communauté Konia représente plus de 18 % de la population guinéenne, plus de 47 % de celle de la Guinée forestière et constitue un vivier électoral important pour le RPG ». A cette allure, la nation guinéenne sera bientôt konianké !

Et le mémo de se faire menaçant : « Tout acte de frustration du Konia dans le contexte actuel est susceptible de fragiliser la paix et surtout de provoquer le délitement de nos militants vers d’autres formations à l’approche de l’importante échéance électorale ».

Des emplois pour les Koniankés

Les auteurs du mémo saisissent l’occasion pour rappeler que les Koniankés sont « totalement oubliés lors des nominations aux postes importants. Il en est de même pour les programmes d’intégration de jeunes à la fonction publique ». Ils demandent à Alpha Grimpeur d’octroyer des contrats à leurs frères entrepreneurs et opérateurs économiques, d’occuper la présidence des organes régionaux du RPG, la création de deux directoires de campagne au compte de la présidentielle d’octobre : un pour les Koniankés et l’autre pour les Guerzés. La cohabitation semble impossible ! Ce n’est pas tout : « Par souci d’équité et d’équilibre géopolitique, nous vous prions également de tenir compte de la représentativité du Konia pendant la composition des missions politiques qui se rendent à Nzérékoré. Les cadres guerzés qui viennent pour la campagne politique ne considèrent nullement les Koniankés alors que nous sommes les plus engagés pour le parti ».    

Bayo bégaie et nie

Pour terminer, une liste de 23 « jeunes koniankés militants du RPG diplômés sans emplois de Nzérékoré » a été jointe au mémorandum. Parmi eux, figure le nom de Makan Soumaoro, journaliste à Espace Nzérékoré. Contactée par Le Lynx, elle dit ignorer comment elle s’est retrouvée sur une telle liste alors qu’elle n’est pas militante politique. Elle menaçait de faire un démenti, après une réunion avec des membres de sa communauté qui devait avoir lieu le 28 août à 16h. 

Même négation de Bangaly Bayo, vice maire de Nzérékoré, dont le nom, la signature et le numéro de téléphone sont apposés au bas du mémo. « D’habitude, les gens ont l’habitude, politiquement, d’adresser des documents aux gens au nom des gens », bégaie Bangaly Bayo. « Je n’en sais rien du document en question. Je ne suis pas le seul Bayo Bangaly à Nzérékoré, mais je suis le plus vu. Je suis en train de chercher le document. On a discuté de la détention des gens en prison, mais cela n’a pas fait l’objet de mémorandum. Il ne faut pas que les gens profitent de nos discussions pour faire un document, le faire signer et l’envoyer à Conakry. Ce n’est pas la première fois que des gens font ce genre de choses : le groupe de Fassou Gomou avait fait un écrit pour dire que j’ai acheté des armes de guerre pour s’attaquer aux Guérzés ».

Néanmoins, Bangaly Bayo dit partager certains passages du mémo : « Il y a des revendications que je ne partage pas, d’autres que je partage : telles que celles qui disent comment faire pour ramener le calme à Nzérékoré. Je soutiens ça ». Et dire qu’il ignore tout du mémo et cherche même à l’avoir !

Après plusieurs tentatives pour joindre le gouve Mohamed Gharé, nous lui avons envoyé un SMS sur l’objet de l’appel. Réponse : « Je suis en réunion avec les préfets et les maires ». Avant de se murer dans un silence de cimetière.

Diawo Labboyah