L’écrivain et homme de culture, Tierno Monénembo, a accordé une interview à nos confrères de Vision Guinée dans laquelle les questions brûlantes du scrutin du 18 octobre prochain, avec la participation de Cellou Dalein Diallo. Les convictions de l’écrivain forcent l’admiration. Lisez !
VisionGuinee: Bonjour M. Tierno Monénembo. Cellou Dalein Diallo est officiellement candidat au scrutin présidentiel du 18 octobre prochain. Quelle lecture faites-vous de sa participation à cette compétition électorale ?
Tierno Monénembo : Pour moi, c’est une grossière erreur au double plan de la cohérence et de la stratégie. S’embarquer dans cette galère, c’est reconnaître d’emblée la validité de cette constitution que personne ne reconnaît à part les politiciens interlopes qui en sont les auteurs ; c’est légaliser par conséquent la candidature d’Alpha Condé pour un troisième mandat. Il s’agit là d’un fait têtu et implacable qu’aucune gymnastique intellectuelle ne saurait plier. Voilà pour ce qui est de la cohérence.
Pour ce qui est de la stratégie, c’est de la folie que d’aller seul (ou presque) au casse-pipe. Je dis bien casse-pipe. Alpha Condé est un tueur au sens propre comme au sens figuré. Pour s’en rendre compte, au sens propre, il suffit de compter les tombeaux du cimetière de Bambéto. Au sens figuré, notre président actuel est un politicien retors qui, ayant été à bonne école chez les staliniens de Paris et chez les vieux tyrans d’Afrique Centrale, sait mieux que quiconque, tromper son monde. L’élection qu’il propose est un traquenard. Cellou y trouvera des colis piégés au lieu de trouver des urnes.
Maintenant qu’il s’est lancé dans la course, croyez-vous en ses chances de battre Alpha Condé dans les urnes avec un fichier électoral qu’il a tant décrié ?
Non, je ne le pense pas. Pourtant, le disant, je souhaite vivement me tromper. J’espère qu’il a découvert des failles dans le système et qu’il saura, le moment venu, passer à travers pour concrétiser enfin cette victoire qu’il mérite tant. Mais j’en doute. Il y a longtemps qu’Alpha Condé et la mafia internationale qui le soutient ont verrouillé le système électoral. Ils en maîtrisent hélas, toute la machinerie. L’opposition pour l’instant, n’en contrôle aucun boulon. Alpha pourrait, s‘il le voulait, faire voter les bêtes sauvages (pour reprendre le fameux titre d’Ahmadou Kourouma) et faire élire son coiffeur ou son blanchisseur.
Un scenario à la gambienne avec Jammeh battu aux urnes en décembre 2016 est-il envisageable dans notre pays ?
Non, je ne le pense pas. La Guinée et les Guinéens n’intéressent personne. Ce sont nos mines qui sont intéressantes. On nous tue depuis 958 : à Boiro, au Stade du 28 septembre, dans les rues de Conakry, de Kankan, de Labé, de Macenta et d’ailleurs, avez-vous vu une belle âme nous venir au secours ? La CPI qui est si prompte à prononcer des verdicts quand il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Congo et d’ailleurs, n’a toujours pas envisagé un procès sur les tueries du 28 Septembre 2009. Nous devons savoir que nous sommes seuls dans notre douleur. D’où, la nécessité de nous unir et de lutter. Ce qu’on appelle la Communauté Internationale est un «machin» hypocrite et versatile qui ne parle que pour sauver les apparences et n’agit que pour des intérêts qui lui sont propres. Le cas Jammeh est particulier. C’est l’Etat sénégalais qui, pour ses intérêts géopolitiques, a usé de son influence afin de le bouter hors de la Gambie. Les intérêts de ses acolytes sont trop gros en Guinée pour qu’Alpha Condé subisse le même sort du moins, tant que ces messieurs lui tiennent la gorge.
Plus d’une fois, vous avez été vu aux côtés de Dalein. Faut-il s’attendre à un divorce entre vous suite à sa participation à l’élection présidentielle ?
Impossible ! Les liens qui nous lient sont indestructibles. Cet homme est un ami pour lequel j’éprouve autant d’affection que d’admiration. Je le trouve intelligent, courtois, doté d’un réel sens de la démocratie et du patriotisme. Contrairement à l’image que tentent de lui coller les publicistes de l’Agence Havas qui ont imposé la marque Alpha Condé, Cellou n’est pas le candidat d’une communauté, c’est le candidat de tous les Guinéens. J’ai eu l’occasion de l’accompagner dans les 33 préfectures du pays pour m’en rendre compte. Il est autant aimé à Kindia ou à Faranah, à N’Zérékoré ou Siguiri qu’à Labé ou à Mamou. Cellou Dalein Diallo est tout sauf un tribaliste. En Guinée, le champion du tribalisme, tout le monde le connaît !
Je suis contre la candidature du président de l’UFDG mais je suis et je reste son ami d’autant que cette amitié se double de véritables liens matrimoniaux: Halimatou Dalein est ma petite sœur et Kadiatou, sa deuxième épouse, n’est autre que la petite-sœur de ma belle-mère. Je suis et je reste aussi le compagnon de route de l’UFDG, même si, pour des raisons de cohérence personnelle, je m’abstiendrai cette fois-ci de participer à sa campagne électorale. Pour moi, c’est la plus grande et la plus belle formation politique de Guinée, en plus j’y ai de nombreux amis : certains, comme Aliou Condé depuis 1967. Si jamais ce parti gagnait, je le laisserais savourer sa victoire. S’il perdait, je m’empresserais de revenir vers lui pour continuer le combat.
Pendant ce temps, l’exclusion de l’UFDG des rangs du FNDC a été déjà actée…
J’ai assisté à la plénière du FNDC mercredi. Le mot exclusion n’y a jamais été prononcé. On a parlé de retrait. Pour nous, les partis qui ont décidé d’aller à la prochaine bataille présidentielle ne sont plus membres des instances dirigeantes du FNDC et ils n’ont plus le droit de parler au nom de cette organisation. Il reste que le FNDC, dont la seule et unique raison d’être est de défendre la Constitution de 2010, n’a aucun ennemi en Guinée. Nos portes sont ouvertes à tout citoyen qui se bat contre cette forfaiture de 3ème mandat qu’il vienne de l’UFDG, du PADES ou RPG. Et si jamais par miracle ou par étourderie, Alpha Condé fustigeait à son tour, cette funeste idée, eh bien, il serait le bienvenu parmi nous.
Aujourd’hui, 90% de nos compatriotes ne veulent pas d’une présidence illimitée. Si nous réussissons à leur parler, à nous faire comprendre d’eux, aucun facteur n’impactera sur notre mobilisation.