Dans un rapport de 51 pages, publié le 25 septembre, l’organisation des droits de l’Homme Human Rights Watch dénonce la passivité des forces de sécurité guinéennes lors des évènements politiques, notamment les élections législatives. Le rapport intitulé «Ils ont laissé les gens s’entretuer : Violences à N’Zérékoré lors du référendum constitutionnel et des élections législatives en Guinée», documente des violences lors desquelles au moins 32 personnes ont été tuées et plus de 90 blessées. Selon les défenseurs des droits de l’Homme, les forces de Sécurité guinéennes ont failli à leur responsabilité de protéger la population des violences électorales et intercommunautaires tout en commettant elles-mêmes des violations des droits humains à N’Zérékoré, dans le sud-est de la Guinée, lors des élections législatives et du referendum constitutionnel de mars 2020. «Les affrontements entre partisans du gouvernement et de l’opposition ont rallumé de vieilles tensions politiques et ethniques. Les forces de sécurité déployées pour assurer la sécurité des opérations de vote n’ont pas pris de mesures suffisantes pour empêcher ces meurtres, ni les destructions généralisées de biens», a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. C’est pourquoi à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre, l’ONG des défenses des droits de l’Homme exhorte le gouvernement à prendre d’urgence des mesures pour s’assurer que les forces de sécurité respectent et protègent le droit des citoyens à participer à des manifestations politiques, tout en agissant avec retenue et respect pour les droits humains.
Rappel des faits
Selon l’ONG de défense des droit de l’Homme, le référendum constitutionnel du 22 mars a été l’aboutissement d’un effort controversé de la part du président Alpha Condé et de ses partisans, durant plusieurs mois, pour modifier la constitution de 2010 afin de lui permettre de briguer un troisième mandat. Même le jour de l’élection, des violences ont entaché le processus dans tout le pays, y compris dans la capitale, Conakry. Ces violences ont atteint leur comble à Nzérékoré, la deuxième ville de Guinée. Des victimes et des témoins ont déclaré à Human Rights Watch que les violences répondaient souvent à des critères ethniques. Des membres armés de l’ethnie Guerzé, considérée comme proches de l’opposition, ont affronté des membres également armés des ethnies Konianké et Malinké, largement perçues comme sympathisantes du parti au pouvoir. Certaines victimes auraient été prises pour cible en raison de leur identité ethnique. De nombreuses personnes ont été abattues, tuées à coups de machette ou battues à morts, et, au moins une a été brûlée vive. Human Rights Watch a également documenté le cas d’une jeune fille de 17 ans qui a été violée par un groupe d’hommes armés. Des témoins ont affirmé que malgré la présence des forces de sécurité y compris la police, les gendarmes et les militaires déployés pour assurer la sécurité des élections, ni ces forces ni les autorités politiques ne sont intervenues ou n’ont répondu à des appels désespérés pour empêcher des bandes armées d’attaquer des personnes ou de se livrer à des déprédations. «Quand j’ai entendu les premiers coups de feu, j’ai appelé un haut responsable du gouvernement, qui m’a répondu que je devais défendre ma maison en jetant des pierres sur la foule qui commettait des violences», a déclaré un habitant âgé de 66 ans. «J’étais choqué. Je ne suis pas du genre à réagir à la violence par la violence. Ce haut responsable de l’État n’a pris aucune mesure pour s’assurer que la situation ne dégénère pas.» Des proches des victimes ont affirmé à Human Rights Watch que l’hôpital avait refusé de leur remettre les corps des membres de leur famille et qu’ils ne savaient pas où ceux-ci avaient été enterrés.
Réponse du gouvernement
Le gouvernement guinéen, en réponse aux questions de Human Rights Watch, a partagé un rapport de juillet 2020 rédigé par un juge guinéen qui, après une visite sur le terrain, a confirmé l’existence de la fosse commune. Un autre rapport, cosigné par le directeur général de l’hôpital de Nzérékore et par un représentant du ministère de la Santé, indiquait que le nombre de personnes tuées avait dépassé la capacité de la morgue de l’hôpital et que pour des raisons de santé publique, les autorités avaient donc décidé de procéder à un « enterrement de circonstance ». Même si la majorité des meurtres de Nzérékoré ont été commis par des citoyens armés, des témoins ont affirmé que les forces de sécurité ont également tué au moins deux personnes, dont une femme enceinte ont arrêté de nombreuses personnes. Elles sont aussi entrées par effraction dans des maisons, et ont pillé et endommagé des biens. La plupart des personnes arrêtées ont été détenues illégalement, entre le 22 et le 25 mars, au camp militaire de Behanzin à Nzérékoré, où elles ont été passées à tabac, gardées dans des conditions inhumaines, dans une cellule crasseuse dépourvue d’une ventilation adéquate, et privées de nourriture et d’eau. Il a été dressé une liste de questions à Albert Damantang Camara, le ministre guinéen de la Sécurité et de la Protection civile. Le 21 septembre, le ministre Camara a partagé avec Human Rights Watch un rapport de la police guinéenne en date du 30 avril sur les violences de mars à Nzérékoré. Le rapport indique qu’un procureur à Nzérékoré a mis en place une commission d’enquête pour identifier et poursuivre les responsables des crimes commis dans cette ville entre le 22 et le 24 mars. Cependant, ce rapport n’aborde presque pas le rôle des forces de sécurité dans la réponse aux violences à Nzérékoré. Il indique seulement que le quartier de Bellevue, où les violences du jour de l’élection ont commencé, avait été « inaccessible » à la police guinéenne en raison des « troubles » qui s’y déroulaient, ajoutant que «l’armée avait été réquisitionnée pour se joindre aux forces de sécurité pour ramener le calme». Le 21 septembre, Human Rights Watch a sollicité des informations supplémentaires au ministre Camara concernant le rôle des forces de sécurité dans la prévention de la violence, et les allégations selon lesquelles elles auraient commis des violations des droits humains elle n’a reçu aucune réponse.
Les recommandations
Alors que la Guinée s’apprête à tenir son élection présidentielle en octobre, les autorités devraient faire en sorte que les forces de sécurité déployées autour des bureaux de vote, des rassemblements politiques ou d’autres événements liés à cette élection, protègent effectivement les citoyens, tout en respectant leur droit de manifester pacifiquement. Le gouvernement et les autorités judiciaires devraient également prendre des mesures d’urgence pour identifier toutes les personnes responsables des crimes commis à N’Zérékoré, y compris par les forces de sécurité, et exiger qu’elles répondent de leurs actes dans le cadre de procès équitables. Les partenaires internationaux de la Guinée, notamment la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine, les Nations Unies, l’Union européenne et les États-Unis, devraient exhorter le gouvernement à mettre fin à l’impunité pour les auteurs de violences électorales. Ils devraient signifier clairement aux autorités ou aux membres des forces de sécurité guinéennes impliqués dans des violations des droits humains qu’ils sont passibles de sanctions ciblées, notamment d’une interdiction de voyager et d’un gel de leurs avoirs.
Ibn Adama