Comme c’est le cas à la veille de chaque élection dans un pays africain de l’espace francophone, la ronde des principaux postulants au scrutin du 18 octobre 2020 a commencé chez nos confrères de France 24 et RFI. Et Alpha Condé, le président sortant qui brigue son troisième mandat, est passé le premier ce mardi 6 octobre. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que l’exercice n’aura pas été une réussite. Loin de là. Si l’on part du principe que le chef de l’Etat et ses partisans entendaient se servir de la vitrine pour rassurer, au-delà de l’électorat guinéen, l’opinion publique internationale, l’objectif n’aura pas été atteint. C’est même l’effet contraire qui pourrait en résulter.
S’il y a une expression pour résumer l’impression que l’on ressent après avoir vu l’interview du président Alpha Condé chez nos confrères de France 24 et RFI, c’est bien l’auto-dégradation. En effet, mieux que toutes les manifestations du FNDC, tous les rapports accablants des ONG de défense des droits de l’homme et l’indignation unanime des démocrates à travers le monde, cette sortie délégitime la volonté du président Alpha Condé de se succéder à lui-même. Le débat ne se pose même plus en termes de légalité ou non du troisième mandat. Il est plutôt question de la capacité du président Alpha Condé, 82 ans révolus, à continuer à assumer des charges aussi lourdes que celles de chef de l’Etat. D’autant qu’au cours de l’entretien, il a montré des signes évidents de fatigue tant physique qu’intellectuelle. Les traits de son visage, les nombreuses approximations ainsi que les difficultés d’élocution de plus en plus prononcées sont symptomatiques du fait le président de la République n’est plus tout à fait jeune. Que lui et son entourage s’obstinent à ne pas l’admettre, c’est une chose. Mais la réalité qu’il nous est donné de voir est implacable, Alpha Condé devrait se reposer.
Les signes
Plusieurs passages des propos tenus par le président illustrent cette fatigue. Nous avons ici sélectionné quelques-uns. D’abord, des erreurs curieuses. Aux deux confrères qui l’interviewaient, Alpha Condé veut rappeler qu’à son arrivée au pouvoir en 2010, la situation était telle qu’il avait déclaré : « j’ai hérité d’un pays et non d’un Etat ». Mais au lieu de cette citation-là, voici ce qu’il déclare aux deux journalistes : « J’avais dit que j’ai hérité d’une Nation et non d’un Etat ». De même, parlant de son livre-entretien avec François Soudan, le président de la République croyant citer le titre, dit : « Une certaine vision de l’Afrique ». Alors qu’en réalité, il s’agit plutôt de : « Une certaine idée de l’Afrique ». Plus loin, le chef de l’Etat crée une confusion certaine chez l’auditeur ou le téléspectateur qui le suit au sujet du nombre d’années qu’il a passé à lutter pour l’instauration de la démocratie en Guinée. Tantôt, c’est 44 ans, tantôt, c’est 45. Mais de loin, la méprise qui reste la plus incompréhensible dans les propos tenus par Alpha Condé dans cet entretien, c’est quand, évoquant sa première sortie publique du samedi dernier, il mentionne le « stade », alors qu’en réalité, il s’agissait du « palais du peuple ». Comment cette confusion a-t-elle pu s’opérer chez lui pour un événement aussi récent et à propos de lieux si distincts ?
Sur le même registre, le même Alpha Condé ne se rappelle pas non plus les motifs du déplacement du premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, en novembre 2019, quand pour la première fois, son cortège a essuyé des jets de projectiles. Essayant de rappeler cet épisode, le président de la République dit : « Lorsque le premier est parti pour inaugurer quelque chose à Labé ». En réalité, il s’agissait du lancement officiel des activités de l’Agence nationale d’inclusion économique et sociale (ANIES).
Ensuite, quelques expressions consacrées de la langue de Molière ont causé quelques problèmes au président de la République. C’est notamment le cas de la citation selon laquelle, « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Alpha Condé ne se rappelant pas toute la phrase a préféré s’arrêter à mi-chemin. « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant… », lâche-t-il tout bonnement. De même, dans la bouche du président Alpha Condé, l’expression ‘’comme une lettre à la poste’’ devient ‘’comme une boite à lettre’’. Enfin, le président de la République qui, en lieu et place de ‘’fake news’’, emploie ‘’face-news’’. Une dernière erreur qui atteste de la déconnexion entre le chef de l’Etat et un monde qui n’est plus tout à fait le sien.
Quid des « je vous ferai remarquer » ?
C’est un détail qui n’est peut-être pas si déterminant. Mais il importe de relever qu’au cours de l’entretien d’une quinzaine de minutes, le président de la République a recouru à au moins onze fois à l’expression « je vous ferai remarquer ». Un usage abusif qui renvoie au champ des redites qui, elles aussi, relèvent des signes de la fatigue dont nous parlions plus haut.
Boubacar Sanso BARRY
Le Djely