Par Laurent Lozano et Mouctar Bah
(RFI)

 Près de cinq millions et demi de Guinéens sont appelés dimanche à choisir leur prochain président, premier rendez-vous sous tension d’un calendrier électoral ouest-africain chargé, scruté avec inquiétude par les avocats de la démocratie. Cette élection ouverte à 08H00, la première d’une série de cinq présidentielles en Afrique de l’Ouest avant fin 2020, se déroule dans un climat de crispation qui fait redouter des troubles, surtout autour de l’annonce des résultats, dans un pays accoutumé à ce que les antagonismes politiques fassent couler le sang.

  Douze candidats et candidates sont en lice pour diriger ce pays de 12 à 13 millions d’habitants, parmi les plus pauvres du monde, malgré ses immenses ressources naturelles. L’issue devrait se jouer entre le sortant Alpha Condé, 82 ans, et son adversaire de longue date, Cellou Dalein Diallo, 68 ans. L’un sanguin, l’autre policé, ils s’étaient affrontés en 2010, premières élections jugées démocratiques après des décennies de régimes autoritaires, puis en 2015. M. Condé l’avait emporté les deux fois.

  M. Condé, 4e président seulement qu’ait connu la Guinée indépendante (outre deux présidents par intérim), revendique d’avoir redressé un pays qu’il avait trouvé en ruines et d’avoir fait avancer les droits humains. Il promet d’en faire « la deuxième puissance (économique) africaine après le Nigeria ».

  M. Diallo propose de « tourner la page cauchemardesque de 10 ans de mensonges », fustigeant répression policière, corruption, chômage des jeunes et pauvreté. Il dit le sortant incapable de continuer à gouverner à cause de son âge. Le scrutin de 2020 n’échappe pas aux tensions des précédents. Pendant des mois, l’opposition s’est mobilisée contre la perspective d’un troisième mandat de M. Condé. La contestation a été durement réprimée. Des dizaines de civils ont été tués. Gouvernement et opposition se rejettent la responsabilité de ces morts.

« Lendemains tumultueux »

  Le nombre de mandats présidentiels est limité à deux. Mais pour M. Condé, la Constitution qu’il a fait adopter en mars pour, dit-il, moderniser le pays remet son compteur à zéro. L’opposition a remis en cause la légitimité de cette Constitution. Mais M.Diallo a décidé de participer à la présidentielle, faisant valoir que pour gouverner, il fallait passer par les urnes. Menée à coups de grands meetings fiévreux, la campagne a été émaillée d’invectives, d’incidents et d’obstructions, et de heurts qui ont fait plusieurs blessés entre militants. L’importance des appartenances ethniques ajoute à la volatilité de la situation Le doute est répandu que l’un ou l’autre des principaux candidats reconnaisse sa défaite sans se battre jusqu’au bout. « Alpha Condé, qui a fait tout ce chemin, qui a modifié la Constitution, est-ce qu’il (serait allé) jusque-là pour perdre l’élection », demande Kabinet Fofana, président de l’Association de sciences politiques. Et « Cellou Dalein, qui a perdu deux élections, qui n’est plus représenté à l’Assemblée, est-ce qu’il viendrait juste pour accompagner Alpha Condé? »

  Cela « peut nous amener à penser qu’on connaîtra des lendemains électoraux assez tumultueux », estime-t-il. « Nous ne jetterons pas de cailloux, nous ne casserons pas de véhicules », a dit le Premier ministre Kassory Fofana au nom de milliers de supporteurs de M. Condé réunis vendredi pour son dernier meeting.

« Comme Obama »

  « Nos militants vont aller voter tranquillement », assure à l’AFP Fodé Oussou Fofana, vice président du parti de M. Diallo. Mais pas question de se laisser « voler » à nouveau la victoire, répète son camp. Le parti a investi beaucoup d’argent pour faire remonter lui-même les

votes, dit-il, tant il se méfie des organes jugés inféodés au pouvoir, malgré l’envoi d’observateurs africains. Le ministère de la Sécurité a prévenu vendredi qu’il était « interdit » à quiconque d’autre que les institutions « reconnues » de publier un résultat. « Nous ferons exactement comme le président Obama. (Si) nous avons nos propres résultats, nous pouvons faire un tweet », dit Fodé Oussou Fofana. La publication d’un résultat national devrait prendre quelques jours au moins. Un éventuel second tour est programmé le 24 novembre. Le recours aux distorsions électorales ou aux modifications constitutionnelles figure parmi les reculs de la démocratie constatés par ses défenseurs ces dernières années en Afrique de l’Ouest, autrefois jugée pionnière. A la suite de la Guinée, des présidentielles sont prévues d’ici à fin 2020, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Ghana et au Niger. Dès le 31 octobre, la présidentielle en Côte d’Ivoire, où le sortant Alassane Ouattara postule également à un troisième mandat, s’annonce, elle aussi, à hauts risques.