Reporters sans frontières (RSF) appelle l’organe de régulation des médias tchadiens à revenir sur les sanctions visant plusieurs responsables de publications menacés de quitter leurs fonctions ou de voir leurs médias fermés parce qu’ils n’ont pas les diplômes requis. L’application de cette décision ferait disparaître de nombreux journaux et porterait très gravement atteinte à la liberté d’informer dans le pays à moins d’un an de l’élection présidentielle.
Trente et un an après la parution de son premier numéro, N’Djamena Hebdo, né sous la dictature d’Hissène Habré, vit peut-être ses dernières semaines. A l’instar d’une quinzaine de titres, le plus vieux journal indépendant du Tchad pourrait être fermé par les autorités d’ici à la fin de l’année. La Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (Hama) vient d’envoyer un courrier à au moins trois médias pour leur demander de se conformer avec la loi sur la presse qui prévoit que les directeurs de publication et les rédacteurs en chef doivent détenir un diplôme en journalisme “de niveau bac+3 au moins” afin de pouvoir exercer leur fonction. Cette disposition est prévue par la loi sur les médias adoptée en 2018.
Joint par RSF, Djendoroum Mbaininga, le directeur de publication N’Djamena Hebdo, voit dans cette décision “un acharnement contre les journaux qui font un traitement sérieux de l’information et qui dérangent le pouvoir”. Enseignant de formation, il avait intégré ce bi-hebdomadaire en 1992 à la suite d’un concours de recrutement où il était arrivé quatrième sur plus de 400 candidats. Ironie de l’histoire, il avait été désigné en 2005 rédacteur en chef du journal par Dieudonné Djonabaye lorsque ce dernier a quitté son poste pour devenir président de la Hama.
La Voix et l’Éclairage, deux hebdomadaires, ont également reçu un courrier similaire. Au début du mois de septembre le régulateur avait déjà suspendu douze journaux pour le même motif, soit un quart de la presse privée tchadienne.
«Aucun critère de qualification ou de diplôme ne peut servir à restreindre l’accès à l’exercice du journalisme ou à la direction d’un média, rappelle Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique. La volonté de professionnaliser la presse ne peut pas se faire au prix d’une mise au banc de journalistes qui exercent parfois depuis plusieurs décennies et de la fermeture de titres historiques. Nous appelons l’organe de régulation à revenir sur cette décision et les autorités à amender la loi sur les médias pour mettre fin à ces restrictions d’accès à la direction d’un média. A quelques mois de l’élection présidentielle, la disparition d’une quinzaine de titres porterait gravement atteinte au pluralisme médiatique du Tchad et apparaîtrait comme une chasse aux voix critiques et indépendantes.»
L’élection présidentielle est prévue le 11 avril 2021. Au pouvoir depuis 1990, le président Idriss Deby n’a pas encore annoncé s’il briguerait ou non un sixième mandat consécutif.
Le Tchad occupe la 123e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.
Reporters sans frontières