Après avoir grimpé haut sur la Constitution de 2020 pour la cueillette de son troisième mandat, l’heure est celle des opposants. A tour de rôle, des leaders politiques et de la société civile défilent depuis quelques jours devant les officiers de la Direction centrale de la police judiciaire, pour dit-on, «trouble à l’ordre public», entre autres. Il s’agit de Chérif Bah, vice-président de l’UFDG, Etienne Soropogui le patron de Nos valeurs communes, Abdoulaye Bah, Ousmane Gaoual Diallo, tous deux responsables de l’UFDG, le parti de Cellou Dalein Diallo. Vendredi 13 novembre, dans une déclaration, le Bloc libéral de Dr Faya Millimono a condamné «vigoureusement» ces agissements du pouvoir grimpant et a appelé toutes les parties au respect des lois de la Roue-publique.
«Je demande aux uns et aux autres de mettre la balle à terre. Ce pays a besoin de paix. Pour que cela soit, il faut que chacun sorte de sa zone de confort. Personne n’est l’ennemi de l’autre. Nous avons en commun ce pays, pour le construire, nous avons besoin de respecter les règles que nous avons écrites tous ensemble. Si nous respectons nos textes, nous pouvons sortir de tout ce que nous vivons. La paix est importante et nous pouvons y arriver grâce à la justice. Politiquement, cette situation ne donne pas une bonne image au pays. Personne ne sait ce qui est reproché aux uns et aux autres.» Et de préciser : «Après les cas de morts qui ont été enregistrés, le moment doit être le retour à la normalité. Que les Guinéens se parlent pour trouver la voie de la paix. Le nœud de tous les problèmes de notre pays, c’est le non-respect des règles. Chacun est justiciable et lorsqu’on doit interpeller un citoyen, on doit tenir compte de ce que les règles ont dit en la matière. Même si c’est un criminel que vous arrêtez, la manière d’obtenir des aveux peut faire que ces aveux soient rejetés par la justice, même si la personne est effectivement coupable. Il faut qu’on respecte les lois de la république. Lorsqu’on interpelle un citoyen sans une convocation régulière, c’est une violation de ses droits et cela est à condamner», déplore le Bloc libéral.
Aucun fondement juridique
Le président par intérim de l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme (OGDH), interrogé par nos confrères de Guineematin, a condamné ces actes et a dénoncé une chasse aux sorcières. «En tant que défenseur des droits de l’Homme, nous regrettons la façon de faire de la justice guinéenne, parce qu’on a tout l’air de croire qu’il s’agit d’un règlement de compte postélectoral. Parce que toutes les personnes qui ont été convoquées appartiennent non seulement à l’UFDG, qui est le principal parti d’opposition, qui prétend avoir gagné les élections, mais aussi il y a ceux qui sont membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) qui sont donc opposés au troisième mandat. Voilà les personnes qui sont harcelées.» Selon El Hadj Malal Diallo, la façon dont ces leaders du FNDC ont été arrêtés ne répond à aucun fondement juridique. «On prend plusieurs pick-up, on va chez Chérif Bah, sans l’avoir préalablement convoqué. Ce n’est pas comme ça que dans un Etat de droit, on arrête un citoyen. On lui envoie une convocation en bonne et due forme, conformément à la loi. S’il refuse de se présenter, on lui envoie un mandat d’amener. Mais, ce n’est pas comme ça que les choses se passent ici. Chérif Bah n’est pas le seul, les Sékou Koundouno sont habitués à ça. On rentre chez quelqu’un, on pille et brutalise avant de cueillir la personne. C’est ce qui nous dérange en tant que défenseurs des droits de l’homme. Je dirais que, normalement, la justice pouvait faire meilleure figure», ajoute-t-il.
Des poux sur un crâne rasé
Me Koné Aimé Christophe Labilé, le prési de l’ONG Avocats sans frontières de Guinée, a aussi réagi. «C’est surprenant qu’on puisse émettre des mandats d’arrêt contre des personnes qu’on a dit activement recherchées, alors qu’on connaît où habitent ces personnes-là. J’aurais pu comprendre qu’une convocation soit déposée au domicile de ces personnes, ou à leur lieu de service et qu’elles n’aient pas obtempéré ou qu’on ne les ait pas trouvées sur place. Maintenant qu’on peut déclencher ce mécanisme afin de les rechercher activement pour qu’ils soient arrêtés partout où ils peuvent se retrouver. Mais, tout porte à croire qu’on est en train de chercher des poux sur des crânes rasés. Si je prends le cas d’Ousmane Gaoual Diallo, de Chérif Bah, d’Etienne Soropogui (…) ce sont des personnes qui s’expriment le plus souvent sur la scène politique. Ce sont des politiciens connus, qui ont des domiciles connus, mais aussi des structures politiques connues», explique-t-il.
Yaya Doumbouya