Alors que le pays traverse une situation proche de la guerre civile et qu’un conflit armé a démarré entre l’une de ses régions et l’armée fédérale, Reporters sans frontières (RSF) dénonce une série d’arrestations de journalistes qui pourrait être liée à ces événements.
Au moins six journalistes éthiopiens sont actuellement détenus sans que l’on sache ce qui leur est officiellement reproché selon Daniel Bekele, le président de la Commission éthiopienne des droits de l’homme. Il s’agit de Bekalu Alamrew, journaliste politique pour la chaîne youtube Awlo Media, réputée très critique de l’actuel pouvoir et proche du parti d’opposition du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) en conflit ouvert avec l’Etat fédéral, et de Medihane Ekubamichael, rédacteur en chef à Addis Standard, l’un des principaux hebdomadaires anglophones du pays, également très critique du pouvoir actuel. Selon les informations obtenues par RSF, les deux journalistes ont été arrêtés le 7 novembre. Le premier serait soupçonné de liens avec les dirigeants du TPLF et accusé d’incitation à la révolte. Le second a été relâché avant d’être à nouveau arrêté le 10 novembre.
Quatre autres journalistes ont été arrêtés dans la nuit du 10 au 11 novembre selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme : Haftu Gebreegziabher, Tsegaye Hadush et Abraha Hagos de l’agence de presse éthiopienne (EPA) ainsi que Udi Mussa, journaliste pour l’Oroma Media Network (OMN), une chaîne interdite sous l’ancien régime et dont le fondateur est emprisonné depuis plusieurs mois. Au moment de la publication de ce communiqué, aucun de ces quatre journalistes n’avait eu accès à un avocat.
Cette vague d’arrestations survient alors que le pays est au bord de la guerre civile. Le gouvernement fédéral accuse les forces locales de la région du Tigré d’avoir attaqué des bases de l’armée. Plusieurs militaires accusés de complicité ont été arrêtés en lien avec ces événements. Pour les journalistes et médias éthiopiens, la couverture de ce conflit est très difficile. Les télécommunications ont été coupées et des journalistes rapportent depuis plusieurs semaines à RSF leurs difficultés à se rendre sur place. L’autorité de régulation des médias audiovisuels avait même officiellement appelé à ne pas couvrir les élections locales organisées dans la région du Tigré mais non reconnues par le gouvernement fédéral. Les autorités du Tigré ne reconnaissent plus la légitimité du Premier ministre Abiy Ahmed qui a décidé de reporter les élections générales prévues cette année en 2021 à cause de la crise du coronavirus.
«Si ces journalistes ont commis des fautes, ils doivent pouvoir répondre de leurs actes sans faire l’objet de mesures privatives de liberté dans des conditions qui demeurent très secrètes et en violation de leurs droits les plus élémentaires, déclare Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous demandons aux autorités éthiopiennes de les libérer et de ne pas recourir aux méthodes de l’ancien régime en procédant à des arrestations arbitraires de journalistes. Ces méthodes ne permettent aucunement de répondre aux problèmes auxquels l’Ethiopie est actuellement confrontée.»
L’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed en 2018 s’était rapidement accompagnée d’un vent de liberté pour la presse. Plusieurs journalistes avaient été libérés et plus de 250 médias autrefois interdits ont été autorisés à opérer. En 2019, RSF avait demandé au Premier ministre de poursuivre ses efforts en faveur de la liberté de la presse en marge du prix Nobel de la paix qui lui avait été décerné. Malheureusement, aucune réforme d’envergure visant à améliorer les lois draconiennes qui régissent la presse n’a été menée à son terme et plusieurs atteintes à la liberté d’informer ont été rapportées à RSF ces derniers mois, faisant craindre un retour en arrière inquiétant et menaçant les progrès importants observés depuis deux ans.
L’Ethiopie a ainsi progressé de 51 places depuis 2018, passant de la 150e à la 99e position au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.
Reporters Sans Frontières