L’Afrique est devenue un crève-cœur. La misère, la famine, les épidémies et l’insécurité sont devenues des produits d’appel pour certains dirigeants africains qui n’hésitent pourtant pas à arpenter, avec amis, femmes et enfants, les grandes allées mondaines des villes aux mille et une lumières ; à se pavaner dans les palaces et hôtels de luxe ; à faire du shopping dans les avenues chic et choc ; à apprécier le thé savoureux, le café langoureux et les liqueurs généreux dans les salons feutrés des palais et des palaces ; pour au final organiser sommets, forums, conférences, tables rondes avec sur le cartable bien en évidence « Notre pays est très pauvre et très endetté », et sur la gibecière fluorescente «Aidez-nous svp, 5 francs n’est pas peu, 5 000 francs n’est pas trop ! » Et la communauté internationale contribue largement – si elle n’en est pas l’initiatrice – à la perpétuation de ce système immoral et amoral, à travers la création de multitudes d’instruments financiers, d’ONGs, de projets et de programmes. Le budget de fonctionnement de beaucoup de projets (coût des expatriés et des prestataires, achat et entretien de véhicules, déplacements et missions, etc.) dépasse largement l’apport réel aux populations censées être les bénéficiaires de l’aide, et dont certains des responsables se payent même le luxe de détourner une bonne partie du peu qui leur reste dans l’assiette.

Récemment, dans le cadre des mesures d’allégement de la dette en lien avec la pandémie de la Covid-19, la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, a fait une déclaration  surprenante : « Nos pays membres les plus pauvres et les plus vulnérables recevront ainsi des dons qui couvriront leurs obligations envers le FMI pour une phase initiale de six mois, ce qui leur permettra de consacrer une plus grande partie de leurs faibles ressources financières aux soins médicaux et autres efforts de secours d’urgence vitale. » Vous avez bien lu ! Le FMI a octroyé des dons aux pays pauvres d’Afrique pour qu’avec ces fonds, ils puissent s’acquitter de leurs dettes vis-à-vis du FMI. Quelle trouvaille géniale ! La machine du service de la dette ne doit pas s’arrêter….

Dans un livre à succès L’aide fatale : Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique (Jean-Claude Lattès, 2009), l’économiste zambienne Dambisa Moyo, ancienne consultante de la Banque mondiale, ne va pas par quatre chemins pour fustiger la forte dépendance du continent africain : «L’aide est une drogue pour l’Afrique. Depuis soixante ans, on la lui administre. Comme tout drogué, elle a besoin de prendre régulièrement sa dose et trouve difficile, sinon impossible, d’imaginer l’existence dans un monde où l’aide n’a plus sa place. Avec l’Afrique, l’Occident a trouvé le client idéal dont rêve tout dealer.»

Ces questions irritantes, et bien d’autres, les Africains continuent à se les poser. Point de méprise ! Nul besoin d’être financier, créancier ou même aumônier pour proscrire l’opacité des comptes publics, la dissimulation de dettes et la dissymétrie de l’information. Il est vain de vouloir cacher un éléphant coincé dans un couloir en verre. Mais de là à admonester un pays souverain, il y a un pas à ne pas franchir. Mais comme le dirait l’autre, on n’a que ce qu’on mérite. En Afrique, et particulièrement dans la partie francophone, on préfère tout sous-traiter à l’extérieur : la monnaie, le secteur bancaire, la sécurité, la santé, l’éducation, le transport, l’énergie, les mines, le pétrole, et même… l’alimentation, le Planning familial et l’assainissement (balayage des rues, curage des caniveaux et collecte des ordures).

Tenez, autre étrangéité ! Le siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, haut lieu des rencontres des dirigeants africains, est devenu depuis le 28 janvier 2012 la cocarde de la puissance de la Chine sur le continent. Mais aussi et surtout le symbole d’une Afrique dépendante. Avec la rondelette somme de 200 millions de dollars (154 millions d’euros), l’empire du Milieu a offert à l’UA clé en main (jusqu’aux équipements et mobiliers) l’imposant bâtiment de verre et d`acier de trente étages construit, en moins de deux ans et demi, sur les ruines d’une ancienne prison de la capitale éthiopienne. A l’entrée de l’édifice, bien en exergue et pour l’éternité, on peut lire sur une pierre gravée «Avec l’aide du gouvernement de la république populaire de Chine». En reconnaissance, le 18è sommet de l’UA qui s’est tenu le lendemain de l’inauguration de son nouveau siège a adopté une motion de «remerciement et de gratitude» envers son généreux bienfaiteur. Cinq années plus tard, coup de tonnerre ! Le journal français Le Monde révèle dans une enquête publiée le 26 janvier 2018 que le siège de l’Union africaine serait espionné par la Chine. En voici un extrait de cette rocambolesque affaire : « En janvier 2017, la petite cellule informatique de l’UA a découvert que ses serveurs étaient étrangement saturés entre minuit et 2 heures du matin. Les bureaux étaient vides, l’activité en sommeil mais les transferts de données atteignaient des sommets. Un informaticien zélé s’est donc penché sur cette anomalie et s’est rendu compte que les données internes de l’UA étaient massivement détournées. Chaque nuit, les secrets de cette institution, selon plusieurs sources internes, se sont retrouvés stockés à plus de 8 000 km d’Addis-Abeba, sur des mystérieux serveurs hébergés quelque part à Shanghaï, la mégapole chinoise. (…) Quatre spécialistes venus d’Algérie, l’un des plus gros contributeurs financiers de l’institution, et des experts en cyber sécurité éthiopiens ont inspecté les salles et débusqué des micros placés sous les bureaux et dans les murs. (…) «Ça arrange tout le monde que ce soit une passoire, déplore un fonctionnaire déjà présent du temps de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA, 1963-2002). On se laisse écouter et on ne dit rien. Les Chinois sont là vingt-sept heures sur vingt-quatre, ont planté plein de micros et d’outils d’espionnage cyber quand ils ont construit cet immeuble. Et ils ne sont pas les seuls !» Selon les documents extraits par Le Monde, en collaboration avec le site The Intercept, des archives de l’ex-consultant de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine Edward Snowden, les antennes des services secrets britanniques (GCHQ) n’ont pas épargné l’UA. Entre 2009 et 2010, plusieurs responsables ont ainsi vu leurs appels et leurs courriels interceptés (…)». L’ambassadeur de Chine auprès de l’UA a récusé totalement l’accusation du journal français en des termes incisifs : «Je pense qu’il s’agit d’une histoire sensationnelle, mais elle est aussi complètement fausse et une absurdité.» Vrai ou faux ? Là n’est pas la question. C’est la surprise manifestée par certains dirigeants africains qui est horripilante et même désopilante. Comment peut-on aimer une rose sans épine ? Il est logique que celui qui vous donne la guitare puisse vous imposer la mélodie. Le regretté professeur Joseph Ki-Zerbo rappelait qu’on ne peut pas dormir indéfiniment sur la natte des autres et bien s’en porter. Tôt ou tard, on finira par voir des comportements désobligeants ou entendre des propos blessants du généreux donateur.

Oui, il faut arrêter l’aide…

L’aide publique à l’Afrique est devenue un tonneau des Danaïdes. L’ancien diplomate français Laurent Bigot, chroniqueur pour Le Monde Afrique, livre son analyse sans concession : « L’aide publique au développement est d’abord un business qui fait vivre des dizaines de milliers de fonctionnaires internationaux et nationaux mais aussi une myriade de consultants. Ils ont tous en commun un objectif : ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis et sur laquelle ils vivent grassement. J’ai toujours été fasciné par l’irresponsabilité que génère l’argent de l’aide publique au développement. C’est l’argent de personne. Tout le monde se comporte comme si c’était de l’argent créé ex nihilo. Les bailleurs sortent pourtant ces sommes de la poche de leurs contribuables mais n’ont aucune exigence sur l’utilisation. Les bénéficiaires n’ont guère plus de considération pour ces sommes (parfois folles) qui tombent dans leur escarcelle sans grand effort (on se demande d’ailleurs s’il n’y a pas une prime au mauvais élève…) » Le consultant français poursuit : « L’Afrique ne mérite-t-elle pas un objectif plus ambitieux, à savoir la fin de l’aide ? N’est-ce pas la vocation de l’aide publique au développement que de s’arrêter, signe qu’elle aura atteint ses objectifs ? Il est temps qu’une grande conférence internationale fixe le terme de l’aide, adressant au monde un message clair : «l’Afrique peut soutenir son propre développement sans être assistée. Pour cela, il faudra changer les mentalités et ce ne sera pas une mince affaire. »

Oui, l’Afrique n’a pas besoin de charité. L’Afrique a plus besoin de partenaires que de donateurs, de prêts libres que de dons liés, de relations durables que de générosité vénérable. L’émergence souhaitée exige une radicalité pragmatique, au sens primaire des mots : “radicalité” dans le sens de prendre le problème à la racine, et “pragmatique”, comme le plus proche possible de la réalité. Les sources de croissance doivent être diversifiées, en mettant en œuvre des solutions innovantes, audacieuses et vigoureuses de mobilisation de financement. Parmi ces leviers, il y a la bonne gouvernance, la lutte contre la fraude sous toutes ses formes dont la sortie illicite des capitaux est une des manifestations.

Cheikhna Bounajim Cissé