Les termes n’hésitent plus à protester, à se bousculer, à s’entremêler pour tenter de se mettre à la place qu’ils estiment la leur dès lors que vous substituez les uns aux autres. Frappant est le cas de voter. Par la force des choses, ce verbe se veut un synonyme hargneux de voler. Impossible de prédire la réaction des sociolinguistes, mais la réalité politique guinéenne, fondée une praxis encore plus dure que Karl Marx lui-même, a imposé une équivalence quasi indiscutable entre « silence, on vote » et « silence, on vole ! »

Quand les spécialistes se pencheront sur le phénomène, ils ne manqueront certainement pas d’en ramener les origines à celles de notre indépendance. La campagne référendaire de septembre 1958 avait permis aux Guinéens de conclure que « voter non, c’est faire l’économie d’une guerre. » Le débat s’est arrêté-là. Les deux principales formations politiques de la Guinée française, le PRA et le PDG, avaient finalement appelé à voter « non. » Le 28 septembre, ce non s’est si « naturellement» imposé que le colon a préféré partir sans demander son reste. C’est à peine si la fraude électorale pourtant historique qui a marqué le scrutin, a été  qualifiée de vol. La victime, le méchant colon, a fait ses bagages sans piper maux. En 2020, les conséquences de cette abnégation font encore des ravages. Dans l’imagerie collective, voter « Oui » équivalait à se prosterner devant le Général de Gaulle. Puisqu’il était absent, on a pris le « non. » avec ou sans bulletin. Personne ne lui avait demandé de s’absenter des bureaux de vote. A part quelques anciens combattants qui ont grommelé ici et là, personne n’a objecté. Les résultats ont été proclamés sans sourciller le dimanche 28 septembre. Le jeudi 2 octobre, nous avons hissé notre tricolore et chanté l’hymne à la liberté. Le parti et la pensée uniques suivaient d’un pas grave. Pour paraphraser Djibril Tamsir Niane.

Depuis, d’un pas encore plus ferme, nous continuons notre marche inexorable vers des lendemains électoraux qui déchantent. Le Parti des Geôles, le PDG,  nous a rapidement enseigné comment mettre toutes les têtes sous le même bonnet. Comment voter à main levée pour mieux marquer l’allégeance au chef.  Encore une fois, on vote pour le chef, pour que le chef soit encore plus chef. Aussi, le PUP n’est-il venu que pour peaufiner les méthodes du PDG. Le choix est alors ouvert. Soit tu votes utile, soit on crève ton Pinet et on te ramène sous escorte à Cona-cris. Pourvu que la tradition soit respectée. On vote pour que le chef gagne. Tout le reste est bidonnage.

Aujourd’hui, c’est l’ère du RPG, l’heure de la démocratie des détournements de fonds, des retournements de vestes, des courbettes éhontées, des délations et des relations ethno stratégiques.  Le choix ne saurait être plus ouvert. L’Administration et ses fonctionnaires pilotent tout. Ne mangent que ceux qui militent. Ne militent que ceux qui mentent, ceux qui exacerbent les tensions pour donner du travail aux FDS,  ceux qui freinent, bloquent, arrêtent le développement pour mieux évaluer les avancées démocratiques ; ceux qui domestiquent les institutions, ceux qui « rient pour tromper leurs interlocuteurs.» Question : quelque 62 ans après, avons-nous réellement fait, allons-nous réellement faire l’économie d’une guerre ? Vous pouvez ne pas y répondre.