L’ange est devenu démon. Par une métamorphose que Kafka en personne ne saurait expliquer, Alpha Condé affiche aujourd’hui le visage inquiétant de ses bourreaux (Sékou Touré qui l’avait condamné à mort et Lansana Conté qui l’avait jeté en prison). Quand la victime éprouve de la sympathie pour son tyran, on parle de syndrome de Stockholm. Et quand elle reproduit trait pour trait ses méfaits et ses crimes ?
L’homme que certains milieux françafricains présentent comme «le Mandela nouveau, le premier président guinéen démocratiquement élu», peine à mériter ces titres manifestement démesurés pour sa carrure intellectuelle et morale. Le comparer à Mandela, c’est avoir une piètre opinion de l’ancien détenu de Robben Island. Quant à lui tracer un portrait de démocrate…
Hurler au loup ne fait pas de vous un grand chasseur. De même, ronéotyper des tracts contre les tyrans dans une chambre de cité universitaire ne fait pas de vous un « opposant historique ». On n’a pas besoin de lire Michelet pour savoir que l’Histoire est un peu plus exigeante que ça. Mais nous baignons dans un nouveau monde, celui du virtuel, du marchandising, du mieux-disant, je veux dire, de la manipulation. Aujourd’hui, il est de bon ton de prendre le slogan pour le programme, l’apparence pour la vérité, l’image pour l’objet, l’ombre pour la proie. L’itinéraire du président Alpha Condé dit mieux que tout la fumisterie de notre époque.
Le démocrate que l’on nous vante n’a jamais gagné une élection de manière régulière et transparente. A la présidentielle de 2010, il n’a obtenu que 18% au premier tour contre 44% pour son principal concurrent. Il s’est néanmoins retrouvé gagnant avec 53% alors que cinq mois s’étaient écoulés entre les deux tours et que le fichier électoral avait été réduit en cendres lors d’un incendie resté inexpliqué à nos jours. Une élection à l’Africaine, quoi ! Vous me direz qu’une élection frauduleuse n’a rien de scandaleux dans un pays comme le nôtre où le jeu secret des lobbies miniers et des médias l’emporte souvent sur la vérité des urnes. On pensait qu’il allait se comporter comme un président modèle pour faire oublier sa légitimité plus que douteuse. Au contraire, l’ «opposant historique», se dépêcha de reproduire le régime africain classique, celui fondé sur le trépied maléfique de la répression, du tribalisme et de la corruption.
Le «Mandela» que les officines de la communication ont tenté de nous imposer a vite fait de jeter le masque, de dévoiler son âme de rustre et d’arriviste, celle facilement reconnaissable de Mobutu, de Bokassa et des autres. Les mêmes discours primaires, les mêmes crimes, les mêmes frasques ! Sauf que les turpitudes de notre président-professeur ne semblent pas indigner grand-monde. Il a violé la Constitution au vu et au su du monde entier, organisé une élection à la nord-coréenne dont il est naturellement sorti vainqueur au premier tour. Bilan : plus de 40 morts et un troisième mandat aussi grotesque qu’illégitime. L’Union Européenne et les USA ont bougonné pour la forme. Quant à la Cedeao et à l’Union Africaine, il y belle lurette qu’elles ont perdu toute crédibilité (ah leur mauvaise foi, ah leurs fonctionnaires véreux !) Et du coup, notre petit dictateur a complètement perdu la tête. C’est comme si on lui avait délivré un permis de brimer et de tuer. Il a confisqué les passeports de Sydia Touré et d’Abé Sylla. De quel droit ? Il a arrêté Ousmane Gaoual, Chérif Bâ, et Etienne Soropogui alors que Oumar Sylla (Foninke Mengué), Souleymane Condé et les autres sont toujours en prison. De quel droit ?
Cette fois, le doute n’est plus permis, nous sommes bel et bien en dictature. Une dictature pure et dure ! Une dictature que nous devons contrer ici et maintenant avant qu’elle ne mette le pays à feu et à sang.
Tierno Monénembo