Monsieur le Président,
J’ai pris l’initiative de m’adresser directement à vous parce que nous avons en commun trois choses :
- La maison commune qu’est la Guinée, parce que vous y êtes né ;
- Vous et moi, à la différence de bon nombre de Guinéens, avons eu la possibilité de mener des études supérieures et d’enseigner à l’Université en France,
- Vous et moi avons vécu ailleurs et avons à cet effet accumulé pas mal d’expériences que nous sommes censés aider notre pays à en tirer profit.
Monsieur le Président, vous avez affirmé à la face du monde que vous êtes « opposant historique ». En entendant ces mots, feu le Professeur Ansoumane Doré, qui vous connaît bien, va sans doute se retourner dans sa tombe. Mais laissant du temps au temps, nous n’allons guère nous attarder sur ce détail. Vous avez fait la prison quand Lansana Conté était au pouvoir. Face à cette situation déplorable, toute la Guinée s’était mobilisée pour défendre votre cause. Toutefois, depuis votre accession à la magistrature suprême en 2010, vous n’avez fait que reproduire un habitus déjà-là. C’est une situation inacceptable pour les Guinéens, vos compatriotes. En effet, vous aviez promis à vos concitoyens :
- La démocratie, mais vous leur avez servi une dictature sanglante : au lieu de rompre avec cette violence cyclique qui sévit en Guinée depuis les années 1952, la mise à mort de jeunes guinéens s’est plutôt banalisée depuis que vous êtes au pouvoir. Or, le rôle de l’Etat est de protéger les citoyens. Mais contrairement à cette norme sociale, vous utilisez les forces de l’ordre pour opposer à toute manifestation légitime et pacifique de la jeunesse contre les avatars de votre politique, une violence inouïe. Pauvres de nous Monsieur le président démocrate ! Vous dînez tranquillement avec votre famille, quand chez les autres on pleure des jeunes tués par la police à votre service. Ne vous êtes-vous jamais mis à la place de ces familles-là ? Si ça n’est pas le cas, je vous invite à y méditer dans le silence de votre âme !
- Vous leur avez promis aussi la cohésion sociale, mais en lieu et place, vous n’avez fait qu’opposer les différentes communautés les unes aux autres. Après « votre élection » en 2010, les Guinéens s’attendaient à un discours qui apaise les tensions sociales ravivées par vous tout au long de la période électorale. Mais contrairement à cette attente, vous êtes allé à Dixinn affirmer que ce sont les commerçants qui rendent la vie chère en Guinée (Cheytane 75). Or au même moment, les émeutes de la faim faisaient rage en Egypte, au Sénégal, en Tunisie, j’en passe ! Tous vos discours depuis 2010 consistent à reproduire certaines affirmations de Sékou Touré. Outre l’exemple précédent, vous avez affirmé que « c’est la France qui a empêché que la Guinée se développe ! ». Cette politique du bouc émissaire, responsable de tous les dysfonctionnements dans le pays, les Guinéens en ont entendu plein les oreilles plusieurs décennies durant avant vous. Bref passons ! Quel dommage, que l’ethno-stratégie (vieux démons de la Guinée) soit la seule arme de conquête et d’exercice du pouvoir que vous ayez mise en œuvre, vous Monsieur le Professeur d’Université ! Par définition, Universitaire renvoie pourtant à universel donc ouvert d’esprit envers tous.
- Vous aviez également promis de mettre de l’ordre en Guinée et d’assurer son développement, vous aviez même promis de construire un TGV Conakry-Bobo-Dioulasso (chez vous), car ce choix n’est pas du tout anodin. Mais dix ans après, les ordures ménagères ne sont pas ramassées, pas d’eau dans les robinets au pays des Rivières du Sud (Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest), pas d’électricité, malgré vos projets hydroélectriques tapageurs qui tympanisent continuellement les Guinéens dans les médias. Dans votre bilan vous vous targuez de 6% de croissance. Une petite précision s’avère indispensable : la croissance est sectorielle, tandis que le développement est global, puisqu’il embrasse tous les secteurs de la vie sociale.
Monsieur le Président songez-vous un seul instant à ce que l’histoire va colporter de votre passage à la tête de la Guinée ? Quel est finalement votre bilan après dix ans de pouvoir ? Résumons un peu. Dix ans après votre élection, le désordre est effarant :
- Dans le secteur de l’éducation, vous n’avez procédé à aucune réforme. Or la première ressource dedéveloppement d’un pays est la ressource humaine ;
- Aucune amélioration du système sanitaire : les malades de COVID-19 ont été abandonnés à eux-mêmes dans la cour de Donka ;
- La corruption s’amplifie au lieu de diminuer (référez-vous au classement de la Guinée à ce sujet) ;
- Vous avez bafoué la constitution car au lieu d’organiser les législatives 40 jours après les présidentielles de 2010, vous avez plutôt attendu trois ans en vue de préparer votre second mandat. Pendant ce temps, vous avez réprimé dans le sang toutes les manifestations réclamant l’organisation des législatives conformément à ce que prévoit la constitution. Cette fois encore, vous organisez contre l’avis des Guinéens un référendum pour vous éterniser à la tête du pouvoir. Ainsi, les résultats de l’élection que vous venez d’organiser se passent-ils de commentaire.
Monsieur le Président, le pouvoir use l’homme. Pour le bien-être des Guinéens, je vous conjure de créer toutes les conditions nécessaires en vue d’une transition démocratique au plus vite.
Alpha Ousmane Barry
Professeur des Universités (en France)