Le bled est loin de sortir de la crise post-électorale qui le secoue depuis plus de deux semaines. Alors que le calme semble revenir notamment à Cona-crime, le bilan des victimes reste toujours un mystère. Le goubernement campe sur la vingtaine de morts qu’il avait annoncée. A l’UFDG, on parle de plus de 30 personnes assassinées. Dans les quartiers, chacun se fait son propre bilan. Faute de morgues appropriées dans leurs coins, plusieurs familles ont déjà enterré leurs victimes, sans attendre la moindre autopsie. Malgré tout, un avocat (sans vinaigrette) qui assiste les familles des victimes depuis des années, cogite désormais sur la possibilité de porter une plainte collective : «Nous avons discuté avec une trentaine de familles par rapport à des informations assez détaillées sur les circonstances des morts de leurs fils. Nous envisageons de déposer une plainte au nom de toutes les familles des victimes», explique Me Thierno Souleymane Ta-Baldé. Comme La Petite Cellule Dalein Diallo, il ne se fait pas trop d’illusions. Bien d’autres plaintes dorment déjà dans les tiroirs des différentes juridictions, surtout à Dixinn : «Dans certains dossiers anciens par exemple, on a les noms de certaines personnes qui ont tiré. Nous avons porté plainte, mais il n’y a pas d’enquêtes, il n’y aura rien, comme cela a été toujours le cas».
Aussi, les corps dont les autopsies ont été pratiquées, les rapports n’ont jamais été rendus publics. Me Ta-Baldé dénonce une volonté délibérée du goubernement de piétiner les enquêtes : «Le problème, c’est qu’on n’a pas reçu de rapports même pour ceux qui ont fait l’objet d’autopsie. Depuis l’arrivée au pouvoir du Pr Alpha Condé, toutes les personnes qu’ils ont assassinées, nous déposons les plaintes, nous demandons les autopsies. Dans les conditions normales, en tant qu’avocat des parents des victimes, je devrais avoir une copie de chaque rapport d’autopsie, mais jusqu’à maintenant, on ne nous a donné aucune copie… Les médecins légistes envoient directement les rapports au niveau des juridictions notamment à Dixinn. On ne peut pas empêcher l’avocat des parties civiles d’avoir accès aux différents documents», clame-t-il.
Des centaines de personnes ont été interpellées lors des manifestations politiques. Plusieurs d’entre elles ont été libérées moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. D’autres continuent à croupir dans les escadrons, les CMIS, à la DPJ ou à l’hôtel cinq étoiles de Coronthie, en attendant un procès hypothétique. Pour l’avocat, le goubernement fait tout pour envoyer des innocents en prison : «La loi dit que les personnes interpellées doivent bénéficier de l’assistance d’un avocat dès leur arrestation. A ce stade, les personnes qui sont arrêtées, qui sont détenues soit à la gendarmerie, soit à la police, on refuse de nous donner l’accès. Le vendredi passé (30 octobre Ndlr), à la DPJ, on m’a empêché de m’entretenir avec mes clients. La même chose s’est produite à la Maison centrale. Je ne rencontre mes clients que dans la salle d’audience. Là également, on nous crée tous les problèmes du monde pour nous empêcher d’assister les prévenus. Le gouvernement fait tout pour arrêter les citoyens de manière arbitraire, les condamner et les envoyer en prison. C’est une violation flagrante de la loi». Dans un pays dirigé par un Prof de Droit, cela n’est qu’une performance de taille.
Yacine Diallo