Reporters sans frontières (RSF) dénonce des sanctions opaques et de très graves violations de la liberté de la presse visant le directeur d’un média et la chaîne de télévision qui lui appartient par un tribunal du Somaliland, un État qui s’est auto-proclamé indépendant de la Somalie mais qui n’est pas reconnu par la communauté internationale.
Cinq ans de prison, 200 euros d’amende et une chaîne suspendue indéfiniment. Des sanctions extrêmement lourdes que la Cour régionale d’Hargeisa, capitale du Somaliland, n’a même pas pris soin de motiver dans son jugement rendu mercredi 4 novembre. Elles visent Abdimanan Yusuf (sur la photo), le directeur et propriétaire de la très populaire chaîne privée Astaan TV. Le journaliste est détenu depuis le 17 juillet.
Plusieurs accusations avaient été initialement portées contre lui. De nationalité éthiopienne, il avait notamment été soupçonné d’être entré illégalement au Somaliland. «C’est complètement faux puisqu’il dispose bien d’un visa d’entrée en règle que nous avons pu consulter” affirme Yayhe Mohamed, le directeur de l’association des journalistes du Somaliland (Solja) joint par RSF. Le journaliste a également été accusé de collaborer avec les services de renseignements somaliens puis de ne pas être en règle concernant la licence de son média. Aucun élément n’a été fourni dans le jugement pour étayer ces charges et justifier la sanction et la condamnation prononcées. Dans un communiqué, le syndicat national des journalistes somaliens (Nusoj), organisation partenaire de RSF en Somalie », a dénoncé des accusations « fabriquées de toutes pièces. »
«L’opacité de cette procédure qui avait commencé par l’arrestation suspecte de ce directeur de média et qui se termine par une suspension non motivée de sa chaîne de télévision ne laisse plus de place au doute et témoigne de très graves violations de la liberté de la presse, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Rien ne permet d’établir aujourd’hui que ce journaliste et sa chaîne ont commis la moindre infraction. Nous demandons à ce qu’il soit libéré et que sa chaîne connue pour son sérieux et la variété de ses programmes puisse à nouveau émettre au Somaliland comme c’est le cas ailleurs en Somalie. »
En 2019, près d’un tiers des violations de la liberté de la presse commises en Somalie l’ont été pour le seul Somaliland. Les arrestations de journalistes et les suspensions de médias y sont très fréquentes, comme le dénonce RSF.
La semaine dernière, RSF et Nusoj ont rencontré le président somalien Mohamed Farmaajo et le nouveau premier ministre Mohamed Hussein Roble pour leur demander de prendre des mesures concrètes afin d’améliorer l’environnement très hostile contre les médias somaliens. Le Premier ministre a annoncé à cette occasion que le moratoire sur les arrestations de journalistes (25 en 2019) recommandé par nos deux organisations serait prochainement adopté et mis en place.
La Somalie occupe la 163e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.
Reporters Sans Frontières