La dictature est le seul et unique problème de ce pays. Tous les autres en découlent. « Le parti unique, c’est le mal unique », disait comme pour se repentir, Ben Bella à la fin de sa vie. Eh bien, la dictature, c’est le mal unique. Les Guinéens ont commis l’imprudence dès 1958 de concéder à leurs chefs un pouvoir sans limite, sans contrôle. C’est cet infantilisme politique, c’est ce péché originel qui nous vaut cet enfer duquel nous avons tant de mal à nous extirper. Nous ne nous en sortirons que si, enfin et d’un seul élan, nous avons le courage et l’intelligence de nommer le mal, de le circonscrire et de lui appliquer un remède de cheval.
Il y a urgence. Le pays est mort si nous remettons les choses à plus tard. En effet, en 62 ans, le pouvoir personnel a largement eu le temps de gangrener notre société, à effacer sa mémoire, à anéantir ses institutions, à brouiller sa conscience citoyenne, bref à lui enlever sa raison d’être. Il est temps, grand temps d’exterminer ce serpent, de vider du corps de la nation les trois venins qu’il nous a inoculés : le tribalisme, la corruption et la répression. C’est sur ce trépied que reposent les dictatures. Aucune d’elles ne peut fonctionner sans trique, sans fraude et sans esprit de clan.
Les cinq dictateurs qui se sont succédé à la tête de notre pays l’ont complètement avachi. Notre société fonctionne à vide. Notre État est dramatiquement absent. Et pour cause, il n’a ni armée ni police, ni magistrature ni même un gouvernement digne de ce nom. Tout est inféodé au chef. Élu ou fonctionnaire, militaire ou policier, par la grâce de Sékou Touré, de Lansana Conté et de leurs successeurs, le Guinéen a perdu tout sens de l’honneur, tout esprit civique. On ne parle, on n’agit qu’en fonction du repas de midi. De haut en bas, c’est la politique du ventre. L’avenir du pays n’intéresse personne. Si le pays crevait cette nuit, aucun Guinéen ne verserait une larme.
Le tripatouillage institutionnel et le trucage électoral d’Alpha Condé ont dramatiquement aggravé le problème. On ne sait même plus où on va. Mais quelle que soit la couleur de demain, notre impardonnable laxisme laissera aux générations futures beaucoup de pain sur la planche. Il est clair que la Guinée n’est pas à réparer : elle est à recommencer. Un travail colossal ! Un travail qui devra s’organiser autour d’un maître-mot : instituer ! Il nous faut un État, un vrai, fondé sur des principes, des règles, des dispositions légales, non plus sur le bon-vouloir des individus.
La dictature n’a pas de visage, elle a des manières. C’est un système. Un système qui depuis le démoniaque Sékou Touré, se reproduit automatiquement sans rencontrer le moindre obstacle. Il n’y aura de la démocratie en Guinée que le jour où nous réussirons à briser ce cercle vicieux. À opposer à ce pouvoir maléfique de solides contre-pouvoirs !
Nous devons sortir de cet État archaïque où le président nomme qui il veut où il veut ; un État où un seul homme décide de tout. Il nous faut une véritable armée fondée sur la fraternité d’armes et la sacro-sainte hiérarchie. Il nous faut une véritable magistrature régie par la conscience professionnelle et la compétence. Il nous faut un véritable corps préfectoral, un véritable corps diplomatique où protégés par leur mérite professionnel, nos hauts fonctionnaires sont à l’abri de la fantaisie présidentielle. Dans ces deux corps, les nominations politiques ne devraient pas excéder 10%.
Nul ne peut fonder une économie développée dans un État mentalement et juridiquement sous-développé.
Tierno Monénembo