Contrairement aux prévisions catastrophiques, l’Afrique se porte mieux, à en juger par les chiffres : 2 376 852 cas, 57 911 décès, 176 995 guéris et 25 239 hospitalisés à la date du 14 décembre. Des théories ont été répandues par les uns et les autres pour expliquer cette résilience. Une horde d’organisations mondiales dont l’OMS et des scientifiques ont publié un bulletin pour faire le point sur ces théories, en six points.
La première théorie c’est l’immunité des africains qui s’explique par une habitude des épidémies. Selon l’OMS, le continent a connu plus de 500 épidémies de maladies infectieuses durant les cinq dernières années. « L’exposition des populations à ces multiples pathogènes aurait renforcé leur système immunitaire et rendu plus résistantes aux bactéries pathogènes. Des études sont en cours pour tester cette hypothèse, notamment celle de l’équipe du professeure Francisca Mutapi, infectiologue à l’Université d’Edimbourg, Royaume Uni.
Il y a également la protection d’autres traitements. Pour certains, il y aurait moins de contamination au Covid-19 dans les pays touchés par le palu et la tuberculose. « Cette théorie a poussé de nombreux médecins (comme le professeur Didier Raoult) à penser que les traitements antipaludéens comme la chloroquine ont une certaine efficacité sur le coronavirus. Et comme beaucoup de gens sont traités avec ces médicaments en Afrique, une résistance immunitaire au nouveau virus pourrait exister ». Toutefois, l’OMS se montre critique, indiquant que certains pays comme le Burkina Faso, le Nigeria et le Sénégal, où le paludisme fait des ravages, ne sont pas épargnés par le virus. Enfin, une immunité génétique, que les africains pourraient être protégés par leur ADN qui serait plus résistant face au coronavirus.
Deuxième théorie, les mesures de santé publique avec l’expérience des épidémies antérieures. La pandémie de COVID 19 n’a pas eu l’ampleur imaginée en Afrique parce que les pays auraient tiré des leçons et mis en place des « bonnes pratiques » issues de la gestion d’épidémies antérieures. Les expériences de la communication et de la sensibilisation sont essentielles pour briser la transmission communautaire du virus.
En Afrique de l’Ouest, avec l’expérience d’Ebola de 2013 à 2016, les pays ont réinvesti les mesures de santé publique pour prévenir le coronavirus ; y compris l’isolement des personnes infectées, la recherche de leurs contacts et leur mise en quarantaine. Au Nigéria, Etat le plus peuplé d’Afrique, les équipes communautaires de vaccination contre la polio ont été rapidement réorientées pour éduquer les communautés sur la nouvelle pandémie. En RDC, le contrôle sanitaire des voyageurs pour le virus Ebola a été étendu pour inclure le coronavirus.
Troisième théorie, les caractéristiques sociales et démographiques, la population est jeune. L’âge médian de la population africaine est de 19 ans pour certaines sources et 20 ans pour d’autres, les 60% de la population sont âgés de moins de 25 ans. Environ 3% de la population est âgé de plus de 65 ans, selon le bulletin. Les données épidémiologiques indiquent que les jeunes sont plus résistants au virus et moins susceptibles d’en mourir. Selon l’OMS, « environ 91% des cas d’infection par Covid-19 en Afrique subsaharienne concernent des personnes de moins de 60 ans, et plus de 80% des cas sont asymptomatiques ». L’Algérie, par exemple, qui enregistre l’un des taux de mortalité les plus élevés du continent, compte près de 10% de population âgé de plus de 65 ans. Il y a aussi que les femmes seraient génétiquement mieux protégées contre le coronavirus ; le mode de vie africain aussi, le virus « ne se transmet pas très bien à l’extérieur », c’est-à-dire hors d’un espace confiné.
Quatrième théorie, les facteurs environnementaux avec des habitats moins denses : « À l’exception de l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc ou l’Algérie, et de certaines grosses mégapoles, la densité de population est en moyenne plus faible en Afrique que dans les parties du monde où le coronavirus a fait le plus de ravages. On compte en moyenne 42,5 habitants au km2 en Afrique, contre 207 en Italie et… plus de 10 000 dans l’État de New York ». Il y a aussi l’influence du climat, le virus supporterait peu la chaleur, la sécheresse et la forte exposition au soleil.
La cinquième théorie est la mobilité internationale, l’Afrique reste à la périphérie du réseau de la mondialisation, ce qui limite la mobilité internationale, semble aussi jouer un rôle. Par exemple, seul l’aéroport de Johannesburg figure sur la liste des 50 sites mondiaux concentrant le plus de trafic aérien. Les africains se déplacements moins par le manque de développement des infrastructures de transport et des équipements. « Cela fait une différence en ce qui concerne l’intensité avec laquelle le virus va se propager dans un pays. Ce sont des facteurs qui doivent être pris en compte » selon l’OMS.
Sixième théorie, c’est une autre souche du virus qui se trouve en Afrique. Il semble que plusieurs souches différentes du coronavirus sévissent sur la planète (jusqu’à huit formes distinctes) et que celle présente en Afrique est moins agressive. « L’OMS n’exclut pas l’idée, mais souligne que pour la valider il faudra séquencer le génome du virus, ce qui est en cours ».
Pour conclure, l’OMS indique que les connaissances sont encore limitées sur le virus, les recherches continuent, il faudra du temps pour pouvoir expliquer, scientifiquement, les raisons de la non expansion de l’épidémie en Afrique. En attendant, l’OMS met en garde que la propagation plus lente du virus ne signifie pas qu’il faille baisser la garde. Il faut distinguer les données épidémiologiques affichées par les Etats et les chiffres réels, beaucoup de morts de la Covid-19 n’auraient pas été dénombrés.
Oumar Tély Diallo