Le 15 décembre dernier, a eu lieu l’investiture du président Alpha Condé pour un troisième mandat. Celui-là même qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive en Guinée, mais aussi de sang eu égard au nombre de Guinéens qui ont perdu la vie dans les manifestations de protestation contre ce mandat à polémique. A l’occasion, le chef de l’Etat guinéen a appelé ses compatriotes à la réconciliation et au dialogue, espérant tourner la page noire des événements meurtriers qui ont entouré la conquête de ce mandat querellé. Une démarche d’autant plus empreinte de sagesse que cela pourrait participer de la décrispation politique, après la chape de plomb que l’homme fort de Conakry a abattue sur la Guinée au plus fort de la contestation. La question est de savoir si Alpha Condé est sincère dans sa démarche. Comment le savoir quand tout, dans l’attitude du chef de l’Etat guinéen, semble indiquer que depuis le départ, son seul objectif était de se maintenir vaille que vaille sur son trône à Conakry ? Peu importe ce que cela coûterait au peuple guinéen.
Maintenant que la forfaiture est consommée et qu’il a empoigné, peut-on dire, « sa chose » en étant sûr que rien ne peut plus contrarier ses plans ni aucun obstacle se dresser devant lui dans sa volonté de s’offrir des prolongations à la tête de l’Etat guinéen, on a envie de dire que c’est trop facile de jouer les pompiers après avoir dressé sans hésitation aucune, le bûcher contre son peuple. On a même envie de se poser la question suivante : de qui se moque Alpha Condé ? Car, si tous les chefs d’Etat du continent faisaient comme lui, on ne sait pas ce qu’il resterait encore de la démocratie sous nos tropiques. En d’autres termes, les doigts de cette main tendue dégoulinent encore de sang pour que cet appel à la réconciliation ne s’apparente pas à une façon de passer par pertes et profits tous ces morts dont la Guinée aurait pu faire l’économie, si Alpha Condé n’avait pas fait preuve d’une obstination aveugle dans la recherche de son mandat querellé. Ce qui est d’une indécence insoutenable. C’est dire si à l’arrivée, la pilule a été plus qu’amère pour les Guinéens qui ont perdu beaucoup des leurs en route, dans leur lutte pour le respect de la légalité constitutionnelle, sans jamais pouvoir barrer la route du troisième mandat à Alpha Condé. Un homme qui aura réussi le tour de force de se remettre dans le jeu électoral par un tour de passe-passe dont seuls les satrapes du continent ont le secret. Et aujourd’hui encore, Cellou Dalein Diallo est toujours dans la contestation de la victoire annoncée du natif de Boké, qui passe, à ses yeux, pour une « imposture ». Et on peut comprendre le patron de l’Union des forces démocratiques de Guinée qui n’a certainement pas envie d’être le dindon de la farce. C’est dire si le chemin de la réconciliation est encore parsemé d’embûches. Et il faudra, au chef de l’Etat guinéen, bien plus que des mots pour atteindre l’objectif de la cohésion sociale qu’il dit rechercher à travers cet appel.
Alpha Condé sait aussi qu’il a besoin de calme pour gouverner
C’est pourquoi, en prenant Alpha Condé au sérieux, on veut bien le prendre aussi aux mots. En cela, il lui appartient de montrer sa bonne foi en posant des actes qui vont dans le sens de la décrispation. Cela passe, entre autres, par la levée du blocus, par l’armée, des bureaux et du siège du parti de son principal rival, Cellou Dalein Diallo, qui crie depuis lors à la séquestration. Autrement, on pourrait être amené à croire qu’après la légitimation de son pouvoir qu’il semble tirer de la participation de la dizaine de chefs d’Etat à son investiture, le dirigeant guinéen veut à présent arrondir les angles pour donner une image un peu plus policée de sa personne. Pour cela, la reconnaissance de ses compatriotes lui est nécessaire ; toute chose qu’il n’a pas encore obtenue de son principal opposant. Au-delà,Alpha Condé sait aussi qu’il a besoin de calme pour gouverner. Surtout après ces longs mois d’agitation faits de contestations en tous genres, depuis l’organisation du référendum constitutionnel jusqu’à sa réélection dans les conditions que l’on sait. En tout état de cause, l’absence, à cette cérémonie d’investiture, de certains chefs d’Etat africains comme le Nigérien Mahamadou Issoufou ou encore le Nigérian Muhammadu Buhari, qui sont restés constants dans leur position contre la question du troisième mandat, est loin d’être anecdotique. Mieux, on peut dire que cela est à leur honneur. Car, au-delà des règles de convenances diplomatiques et de leurs rapports qui ne seraient pas au beau fixe avec le dirigeant guinéen, si cela est une façon, pour eux, de montrer leur attachement à la démocratie, c’est un acte qui mériterait de faire tache d’huile sur le continent africain, pour le bien de la démocratie et le respect des règles de l’alternance.
«Le Pays» (Burkina Faso)