A l’occasion du nouvel an, le président Alpha Grimpeur a dit, entre autres,, qu’il n’est pas là pour servir la cause d’une élite. Il avait promis également de gouverner autrement la Guinée. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il est possible de gouverner autrement avec les mêmes personnes. C’est le cas du juriste et analyste politique, Karamo Mady Camara, invité de l’émission Œil de Lynx de ce mercredi 6 janvier.
M. Camara se dit être très perplexe, car au terme de 10 ans à la tête du bled, la question est de savoir ce qu’il a pu faire. «Mais qu’à cela ne tienne, il faut dire que le fait n’est pas en soit de choisir les mêmes personnes pour continuer ou pas. Le véritable problème se pose dans la manière de gouverner. Vous pouvez gouverner avec les mêmes, pourvu que les méthodes changent, pour vu que la manière de faire puisse changer».
Le problème guinéen, estime-t-il, c’est qu’il y a un minimum de personnes qui se sont toujours permises de faire un maximum de choses. Et ces choses qui ont été faites n’ont pas fondamentalement permis aux citoyens de voir leur niveau de vie changer, de voir le pays dans son ensemble trouver la voix d’un changement radical. «C’est la raison pour laquelle beaucoup restent dubitatifs sur le concept gouverner autrement. Je pense que le président de la République pourrait mieux faire, et d’ailleurs certainement il le fera les prochains jours, puisqu’il a affirmé qu’il organisera une conférence de presse pour mieux situer le contenu du slogan ‘’gouverner autrement’’. Il faut qu’il dise clairement en quoi les 6 prochaines années seront différentes des 10 précédentes. Est-ce que dans le choix de ses collaborateurs pour faire focus désormais sur la compétence, parce qu’il faut le dire, les choix qui ont été faits jusqu’ici ont en majorité, été faits sur la base soit de l’affluence politique ou alors de l’affinité ethnique».
De poursuivre : «La deuxième chose qui pourrait aussi permettre de mieux comprendre, c’est d’expliquer les dispositions qu’il va prendre pour permettre aux institutions de jouer leur rôle parce que le débit de responsabilité des institutions de notre pays est très faible. Et très souvent, c’est cette immixtion du chef de l’Etat dans le fonctionnement de ces institutions qui plombe leur fonctionnement correct. Est-ce qu’il entend donc mettre un holà à tout cela ? Voici autant de questions qui méritent d’être répondues avec clarté pour donner une orientation plus nette au concept. Sinon nous continuerons une fois encore à patauger dans un obscurantisme qui ne dit pas son nom.»
Nomination d’un nouveau gouvernement
«Quand le président dit qu’il veut gouverner autrement, est-ce que les pratiques qui ont miné sa gouvernance antérieure vont prendre fin ? Pour moi, gouverner autrement devait d’abord commencer par nommer immédiatement le gouvernement dès son installation. Au moins cela aurait tranché avec ce que nous avons connu dans le passé. L’on se souvient que chaque fois qu’il y a eu changement de premier ministre, le président a observé un temps d’attentisme et un suspens qui a duré parfois 2 ou 3 semaines avant que le gouvernement soit mis en place. Alors gouverner autrement aurait consisté d’abord à mettre immédiatement le gouvernement en place pour qu’il soit mis au travail et que l’on sache que oui, nous avons amorcé une nouvelle dynamique. Mais ce n’est pas cela qui a été fait. Je comprends donc que le président est dans les mêmes tractations qui ont plombé sa gouvernance parce que le choix des personnes se fait sur la base de beaucoup de critères qui sont parfois subjectifs et c’est difficile donc de trancher sur le feu de l’action,» dénonce-t-il.
Karamoko Mady Camara estime qu’un gouvernement bien mûri et bien préparé aurait déjà formé son équipe. «Le problème ne devait pas se poser dans le choix des hommes parce qu’il a décidé de passer encore un nouveau mandat. Normalement, il devait envisager conséquemment avec qui il va le faire et ne pas encore mettre le pays dans l’attentisme. Aujourd’hui, aucun paiement n’est fait dans le service financier, aucune administration ne fonctionne correctement, les réunions de cabinet ne se tiennent plus, l’on dit que le gouvernement a rendu la démission officiellement rien ; n’est confirmé, Tout cela dénote encore une fois que c’est le même système, les mêmes pratiques qui continuent et qui ne sont pas dans la logique de ce que le président a annoncé dans l’optique d’une gouvernance autre. Je suis quand même très perplexe», ajoute- t-il.
Le profit du futur premier ministre
Pour Karamoko Mady Camara, le futur premier ministre devrait avoir une très grande valeur interne et une certaine résonnance externe. «Une très grande valeur interne, pour incarner les vertus d’une gestion qui soit déontologique, d’une gestion orthodoxe et d’une gestion qui s’inscrive dans la logique que le président a dessiné. C’est-à-dire gouverner autrement. Donc il faut que cela soit un premier ministre très vertueux qui soit en contradiction avec tout ce que nous avons connu ces derniers moments, c’est-à-dire le laxisme, la gabegie, la corruption, le clientélisme ; que cela soit une personne qui en elle-même soit opposée à de tels pratiques. Qui est une résonnance externe : parce que les attentes de la population sont très énormes.» Et d’insister : «Il faudrait donc qu’il ait des compétences avérées, avec une expertise certaine et avec surtout un caractère de conciliation parce que le climat social est très tendu. Une frange importante de la population qui pour l’instant ne se reconnait pas dans la dynamique de ce nouveau mandat, il faut aller dans le sens de les concilier et de les ramener dans le meilleur bord. Et ensuite, il faudrait que le premier ministre, de par son expertise, aide à relever le pays de cette situation très difficile que nous avons connue, liée au choc de deux crises majeures. La première, la pandémie de la Covid-19 qui a totalement mis notre économie à terre. La deuxième, nous avons connu une crise politique qui s’enlise et qui a aussi été amené à jouer sur notre économie. Donc, il faudrait que le nouveau premier ministre ait une capacité de pouvoir nous sortir de cette impasse. Et en tout cas, pouvoir allier expertise, compétence, vision et surtout leadership pour que nous puissions aller de l’avant, parce que le gouvernement auquel nous sommes aujourd’hui assujettis a, en son sein, beaucoup de guerres d’égo, d’insubordination, tout cela doit cesser. Il faut un premier ministre qui a une autorité sur ses ministres pour que cela puisse avoir de l’impact sur la population.»
Kadiatou Diallo