Au tribunal ce 12 janvier, l’ex-milliardaire Beny Steinmetz a dit ne rien savoir des pots-de-vin versés en marge de ses projets miniers en Guinée. L’accusation a tenté de le coincer, documents à l’appui, rapportent nos confrères de La Tribune de Genève.
Sa parole est rare. Beny Steinmetz, le magnat des mines et du diamant jugé cette semaine à Genève pour corruption et faux dans les titres, ne donne presque jamais d’interviews. Autant dire que ses explications, ce mardi devant le Tribunal correctionnel, étaient très attendues.
Âgé de 64 ans, celui qui fut l’homme le plus riche d’Israël est accusé d’avoir soudoyé une femme de l’ancien président guinéen pour s’emparer d’une partie des richesses minières du pays. Depuis le début de l’affaire, en 2013, il suit la même ligne de défense, avec une constance confinant à l’obstination. Il ne nie pas qu’il y ait pu y avoir corruption autour des projets de son groupe en Guinée. Il affirme seulement qu’il n’était pas au courant et qu’il n’y est pour rien.
Un gisement à 50 milliards
Devant le Tribunal correctionnel, Beny Steinmetz a répété n’avoir jamais dirigé le conglomérat minier qui porte son nom, BSGR. Il serait seulement son «conseiller stratégique», son «ambassadeur» ou son «porte-parole». BSGR est contrôlé indirectement par une fondation liechtensteinoise pilotée par l’avocat genevois de Beny Steinmetz, Marc Bonnant.
Cette fondation distribue à la famille Steinmetz ou ses entreprises des sommes qui peuvent se chiffrer en centaines de millions de dollars. Mais Beny Steinmetz a bien souligné qu’il n’est pas – ou plus – milliardaire: sa fortune personnelle a souffert du scandale guinéen et serait passée depuis 2016 de 130 millions de dollars à 50 ou 80 millions, «en raison de tous les problèmes».
La Guinée aurait pourtant dû être le couronnement de sa carrière – et sa porte d’entrée vers une fortune encore plus grande. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, BSGR a découvert dans les années 2000 des gisements de fer valant plus de 50 milliards de dollars. Encore fallait-il obtenir des autorités guinéennes les permis pour les exploiter. Selon l’accusation, c’est dans ce but que des intermédiaires associés à BSGR auraient versé des millions de dollars à la femme de l’ancien président Lansana Conté. Des transactions dont Beny Steinmetz dit ne rien savoir.
Yves Bertossa, premier procureur
Le tribunal ne semble pas convaincu. Sa présidente soumet à Beny Steinmetz une série d’e-mails et de documents qui semblent montrer que le «conseiller» avait le dernier mot au sein de son groupe. Et qu’il en savait long sur les contacts de BSGR avec les décideurs politiques guinéens, dont la femme du président.
Plus mordant, le premier procureur Yves Bertossa met sous le nez de l’accusé un autre courriel commençant par «Dear Beny», qui mentionne la quatrième femme du président guinéen et ses relations avec BSGR. Beny Steinmetz affirme ne l’avoir jamais vu, ce qui attire une réplique cinglante du procureur: «Vous vous souvenez de tous les autres e-mails que vous avez reçus ces jours-là, et comme par hasard, alors qu’il commence par «Dear Beny», c’est le seul e-mail dont vous ne vous souvenez pas?»
Le voyage du jet privé
Beny Steinmetz ne se démonte pas, mais Yves Bertossa insiste. Pourquoi le jet privé utilisé par l’homme d’affaires, souvent stationné à Cointrin, est-il allé en Guinée le jour même de la signature d’accords miniers entre BSGR et le gouvernement? «Je n’y étais pas, indique Beny Steinmetz, je n’utilisais cet avion que 60% du temps.» Le procureur ressort encore le procès-verbal du directeur de BSGR en Guinée. Interrogé par la police israélienne, il déclare que Beny Steinmetz était son «vrai patron» et que son titre de simple conseiller était lié à des «combines liées aux impôts». «C’est la façon de parler israélienne», balaie Beny Steinmetz, qui finit enfin par s’échauffer.
Une dernière coïncidence est soulignée par l’accusation. En 2013, Beny Steinmetz est à Paris pour parler de la stratégie de défense à mettre en place face aux accusations de corruption. Une semaine plus tard, un intermédiaire lié à BSGR rencontre la quatrième femme, devenue veuve, de l’ancien président guinéen. Lors de ce rendez-vous enregistré par le FBI, il se réclame de «Beny» et supplie la veuve de détruire des documents compromettants pour BSGR. Beny Steinmetz affirme n’avoir joué aucun rôle dans cette tentative de subornation de témoin.
«En Afrique, un emploi fait vivre 30 personnes. Il faut des hommes d’affaires qui font ça!»
L’entrepreneur a plutôt défendu son rôle en Guinée, regrettant que les projets miniers de BSGR aient été torpillés par les accusations de corruption. «C’est une tragédie, estime Beny Steinmetz, car ce projet aurait quadruplé le PIB de la Guinée et aujourd’hui il n’y a rien! […] Le plus grand gagnant dans ces projets [miniers], ce sont toujours les pays, car il y a des emplois, des royalties, et en Afrique un emploi fait vivre 30 personnes. Il faut des hommes d’affaires qui font ça!»
Sylvain Besson, La Tribune de Genève