Depuis plus de 30 ans, la Guinée Forestière est un foyer de tension permanent secoué par des conflits récurrents, exacerbés par l’accroissement de la pauvreté, la non résolution de la question foncière, les discours haineux des politiciens médiocres. Et les guerres dans les pays voisins (Libéria, Sierra Leone, Côte d’Ivoire) qui ont impacté durement sur la cohabitation entre les habitants de la Région. A cause notamment des continuités ethniques transfrontières. Les causes de ces conflits sont multiples ; elles sont :
– Endogènes : Riche, la Guinée Forestière est une terre d’immigration pour les Guinéens des autres régions (Haute Guinée, Moyenne Guinée) et des pays voisins (surtout des éleveurs Peulhs maliens). Des sociétés minières, bénéficiaires de contrats mal ficelés envahissent les villages avec leurs machines au grand dam des populations non impliquées et ne bénéficiant d’aucune retombée significative.
– La mal gouvernance et la corruption. L’Etat ne joue pas son rôle de protecteur des intérêts des citoyens.
– Les Forestiers ont l’impression d’être des laissés pour compte.
– Lors des attaques rebelles à Macenta et Guéckédou, l’armée a eu recours à des jeunes volontaires qui ont combattu les envahisseurs. Ces jeunes gens ont été ensuite abandonnés et très souvent avec leurs armes. Ceci a augmenté la circulation des armes légères de petit calibre qui alimentent l’insécurité
– Suite au décès du Président Conté, il y a eu un coup d’Etat qui a entrainé une transition catastrophique. 1991 : crise résultant de la première élection municipale qui a opposé les militants du parti au pouvoir (PUP) et ceux du RPG, un parti d’opposition. Cette crise, bâtie sur fond ethnique opposant Kpèlès et Malinké, a causé de multiples décès ;
– Suite au blocage progressif du dialogue entre le CNDD et les forces vives, le climat politique guinéen s’est détérioré et a connu une évolution violente avec les événements du 28 septembre 2009 suivis de la tentative d’assassinat perpétrée contre le Chef de l’Etat d’alors, le 3 décembre 2009. Ces événements ont exacerbé les tensions déjà très vives en Guinée Forestière.
– Après la présidentielle de 2010, le Président élu n’a pas réussi, ni par la parole ni par les actes, à rassembler les Guinéens que des discours électoralistes des politiciens avaient divisés. Bien au contraire, les nominations dans l’Administration publique et dans l’armée privilégient les ressortissants de sa région et de son ethnie, ses discours stigmatisant telle ou telle ethnie et les comportements de ses Gouverneurs et préfets ont approfondi les replis identitaires.
– Les campagnes électorales de 2010 sont marquées par la pauvreté des discours des politiciens qui se retranchent derrière leur ethnie et leur Région.
– Exogènes : La Région a été envahie par des réfugiés (plus de 700 000 personnes) venus des pays voisins en guerre. Ces réfugiés ont impacté sur les comportements des hommes et des femmes du terroir (en raison, notamment des continuités ethniques de part et d’autre des frontières) et contribué à la destruction du couvert végétal.
–Ces conflits ont bavé sur la Guinée Forestière en particulier (Macenta et Guéckédou).
Résultat : la fracture entre les Guinéens s’approfondit et se manifeste par des pogroms à travers le pays. Une étude avait été menée à l’époque pour identifier le potentiel de conflits dans les cinq préfectures de la Région avec focus sur les relations inter communautaires.
Du 16 juin 2011 au 18 juillet 2011, N’Zérékoré, Gouécke, Bounouma, Diécké, Yomou, Péla, Beyla, Boola, Bossou et Lola.
En septembre et octobre 2011, Lainé, Guéasso, Koulé, Séredou, Macenta et Guéckédou. Elle y a rencontré des représentants des communautés ethniques suivantes : Kpèlè, Toma, Malinké, Konyanké ou Konia, Manians, Peulh, Soussou, Konon, Manon et Kissi
Devant les menaces d’implosion sociale, des études avaient été faites pour faire le diagnostic de la situation et proposer aux autorités en charge de la gestion du pays des pistes de solution.
Objectif de la recherche : cette activité a pour objet de :
- Découvrir auprès des enquêtés ce que chaque communauté ethnique reproche aux autres ethnies.
- Rechercher les autres sources potentielles de conflits.
- Recueillir les propositions de solution pour une meilleure cohabitation
Esquisser la base de la réconciliation intercommunautaire en recueillant les sentiments et points de vue de chaque communauté.
Stratégie : L’équipe a rencontré les autorités du Gouvernorat, des préfectures et des communes concernées. Après le protocole d’usage et l’identification des personnes ressources de chaque ethnie, elle a obtenu des rendez-vous.L’entretien a été mené par focus groupe.
L’enquête a porté sur les neuf ethnies vivant en Forêt. Elles ont toutes des choses à se reprocher les unes les autres. Elle a révélé notamment qu’entre le groupe mandingue, les allogènes composés de Malinkés, de Koniankés et de Toma-manias et le Groupe « forestier », les autochtones, il existe un profond désaccord. Sur la question foncière et une question de culture, de civilisation. Les seconds accusent les premiers d’avoir fait d’eux des paysans sans terre chez eux. Et d’avoir procédé à un véritable génocide culturel en s’attaquant à leurs croyances religieuses et à leurs us et coutumes.
Pour y remédier, toutes demandent le dialogue et la concertation. Malheureusement l’Etat guinéen, inconscient de l’immense chance que lui offre son peuple, continue sa guerre contre les ethnies en aggravant les brutalités, y compris et surtout verbales, et l’exclusion, la discrimination. Cette étude a plus de dix ans d’existence. Rien n’a été fait. Les problèmes ont été aggravés, en termes de pauvreté, de capacités de l’Etat à satisfaire les besoins les plus basiques des citoyens. D’autres violences sont intervenues et n’ont pas été réglés. En particulier, la question foncière. L’Administration publique, particulièrement territoriale, est tellement politisée qu’elle est complètement tribalisée. A tous les niveaux de déconcentration. Et gouverneurs, préfets, sous-préfets passent leur temps à faire ce qui n’est légalement pas leur boulot : se mêler des problèmes de terrains. Et de favoriser, toujours et toujours les Mandingues. Aux dépens des autochtones.
Arrive 2020 et ses faux problèmes électoraux. Damaro, en panne d’idées positives, va à N’Zérékoré et crache du feu sur les autochtones en vantant les valeurs guerrières des Koniankés qui se seraient illustrés dans les guerres civiles dans les pays voisins. N’Zérékoré brûle. Maintien d’ordre. Les agents de ce maintien d’ordre sèment la mort, font couler le sang et déportent des citoyens à Soronkoni. Ces déportés sont pour la plupart des autochtones. Les élections se font. Damaro passe et devient Président de l’Assemblée Nationale. Un poste occupé jusqu’alors par un autochtone forestier.
Rappelons que Damaro, est un fils d’immigrés konianké qui avaient fui la misère de Kérouané pour Nzérékoré. Le chef-lieu de cette commune rurale et sous-préfecture relève de l’ancien Canton colonial de Simandou, dans Kérouané.
Kérouané, c’est le symbole de la Guinée dans toute sa misère. Extrêmement riche en diamant, sa population croupit dans une innommable pauvreté. Sékou Touré en son temps se tapait le tiers de sa production. Houphouët Boigny avait ouvert une taillerie de diamant à Abidjan. Qui avait commencé à être alimentée en diamants bruts par Kérouané. Un petit avion partait d’Odienné pour venir les rafler en Guinée. Dès après le 3 avril 1984, la taillerie abidjanaise s’est éteinte.
Bah Mamadou Lamine