Au RPG arc-en-ciel, tout le monde est mécontent : de ceux qui contestent les hommes qui gouvernent, la manière de gouverner, aux militants des premières heures de clandestinité qui se sentent oubliés après l’arrivée du Prési Alpha Grimpeur à Sékhoutouréya.
Des vieilles nounous aux châles jaunes (couleur du RPG) sur la tête et les épaules, une banderole et des jeunes en t-shirt avec un portrait de quelqu’un assis, le menton dans la paume de la main comme perdu dans ses pensées. Des slogans : «Je suis RPC, on m’a abandonné» ; «Je suis RPC, on m’a oublié »… Les membres du collectif dit des «Frustrés du RPG arc en ciel» n’ont pas lésiné sur les messages pour se faire entendre jusque dans la forteresse du Palais présidentiel Sékhoutouréya. Ce regroupement de militants des premières heures du Rassemblement du peuple de Guinée était face à la presse vendredi 12 février pour se plaindre d’être oubliés par le Prési Alpha Grimpeur.
Le Collectif revendique près de 500 membres. Sans être exhaustif, car «95 % des militants du parti sont frustrés : aussi bien ceux qui le disent que ceux qui se taisent», s’offusquent les conférenciers. «Après dix ans de pouvoir, les RPGistes restent les plus misérables, oubliés et abandonnés», martèlent-ils. Et dans la galère, on ne tarit pas de sagesse : «Après avoir mangé de la viande de lézard avec quelqu’un, ne l’oublie pas si un jour il y a de la viande de chèvre», conseille Sayon Amara Condé, rapporteur du Collectif qui ajoute : «Si tu bois de la quinine avec quelqu’un, le jour qu’il y aura du miel, partage avec lui».
Tête-à-tête avec le timonier
Après avoir tout donné : biens, vies, puis le pouvoir au Prési Grimpeur, les militants se sentent écartés à l’heure de la ripaille. «Il y a un mur entre le président et nous», se lamentent-ils. «Pour taire ces désenchantements, écrivent-ils dans leur mémorandum, nous invitons monsieur le président de la République, professeur Alpha Condé, de bien vouloir nous accorder une rencontre de tête à tête pour qu’en toute franchise nous puissions laver le linge sale en famille ; sans laquelle concertation les militants que nous sommes ne se retrouveront plus dans son programme de société qui a cependant suscité en nous pleins d’espoirs».
Lors de la convention le 6 août pour désigner le candidat du pouvoir à la présidentielle du 18 octobre, le Prési Alpha Grimpeur avait martelé : «Il faut que le RPG revienne à sa tradition de solidarité. Les forces intermédiaires entre le peuple et moi ne jouent pas leur rôle». En réponse à la demande de le voir conduire les couleurs du RPG au scrutin, il ajoute : «Si vous voulez que j’accepte votre proposition, il faut que le RPG redevienne à ce qu’il était : un parti qui n’oublie personne, surtout les analphabètes sans travail, les femmes».
Le Prési Grimpeur avait même appuyé une motion en faveur de la création d’une commission de recensement des militants décédés, tout en demandant à Saloum Cissé de s’en charger. Le collectif des frustrés du RPG déplore que ce dernier ne réponde pas à ses demandes de rencontre. Outre les oubliés, il y a les frondeurs qui contestent les hommes et la manière de gouverner.
« Des ministres sans résultats confirmés »
Le RPG arc-en-ciel avait convoqué une réunion extraordinaire du bureau politique le 21 janvier à son siège. Si quatre points étaient à l’ordre du jour, c’est plutôt «la reconduction systématique» des ministres sortants malgré le slogan «Gouverner autrement» qui a dominé les débats, à en croire le contenu du mémo qui en a résulté, transmis au locataire de Sékhoutouréya. Le document traduit «l’indignation des militants et l’incompréhension totale des populations sur la reconduction de Mme Zénab Dramé (Nabaya) au poste de ministre de l’Enseignement technique, de la formation professionnelle et de l’emploi malgré l’existence d’une procédure judiciaire pour détournement de fonds publics ouverte contre sa personne».
Cité dans un présumé détournement de 200 milliards de francs glissants, le nom de Zenab Nabaya Dramé revient régulièrement dans le texte. Les protestataires «regrettent» sa reconduction, «suggèrent» sa démission «afin de permettre à la justice de tirer au clair cette rocambolesque affaire». Dans le mémo adressé à Alpha Grimpeur, les frondeurs proposent même les termes dans lesquels la fille de Kankan doit présenter sa démission, pour en sortir «grandie, sauver l’image du gouvernement et du président de la République et surtout rétablir un climat de confiance entre les gouvernants et les gouvernés dans ce contexte socio-économique difficile».
Malaise profond
Un frondeur présent à cette réunion déplore «un certain malaise à l’intérieur du parti qui ne dit pas son nom : dans la façon de choisir ceux qui gouvernent, mais aussi dans celle de gouverner elle-même. Face à ces inquiétudes de la base, le bureau politique a dans un mémorandum attiré l’attention du président de la République sur la composition partielle du gouvernement qui ne faisait que confirmer les mêmes ministres malgré l’absence de résultats». Et de demander «qu’il y ait beaucoup de dynamisme à l’intérieur du gouvernement. Ceux qui ont fait dix ans de carrière de ministre doivent céder la place à d’autres talents plus jeunes, plus dynamiques afin de produire plus de résultats. Nous avons voulu qu’on se débarrasse de certaines personnes qui ont été toujours là, à tous les systèmes».
Position ambiguë du bureau politique
Ce qui rejoint l’analyse d’un autre membre du RPG arc-en-ciel qui a requis l’anonymat. «Beaucoup ont estimé que cette fois-ci certaines têtes d’affiche du parti devaient connaître des ascensions. A chaque fois, on dit aux militants d’attendre : après les législatives, le deuxième mandat, puis le troisième…Cela crée des frustrations. Tout le monde se sent ministrable. Quand il y a remaniement, chacun attend son nom».
Dans une déclaration intitulée «Halte à la confusion !», le bureau politique national du RPG arc-en-ciel s’était désolidarisé des frondeurs et avait réitéré sa totale solidarité des «actes et décisions de son leader historique et légitime, le professeur Alpha condé». Le dépité Souleymane Keita d’ajouter : «La voix officielle du parti est bien connue, ce n’est pas l’agitation de deux ou trois militants qui va l’engager». «La réunion s’est tenue au siège du parti et l’information a été envoyée à tous les membres du bureau politique national, rétorque un frondeur. Ceux qui étaient disponibles sont venus, comme la coordinatrice nationale du RPG qui a d’ailleurs présidé la rencontre. Il y avait les présidents du bureau national des jeunes, des femmes, des anciens combattants, des cadres, des corporations…Les deux-tiers du bureau politique étaient là».
Musellement des voix discordantes
Depuis que le train de la quatrième République a démarré, l’opposition est moins audible. Les contestations viennent désormais du parti au pouvoir. Et comme autrefois les opposants, les frondeurs du RPG sont matés. Cinq frondeurs ont été suspendus de leurs fonctions politiques et administratives : Lansana Komara, ministre secrétaire gênant du gouvernement, Mbany Sangaré, secrétaire à la jeunesse et responsable de l’Office guinéen des chargeurs (OGP), Alhassane Diakité, chef de cabinet au mystère de l’Education, Sékou Souapé Kourouma, membre du bureau politique du RPG et Sory Sow, dépité. Des cinq, c’est l’avenir administratif de Lansana Komara qui est particulièrement confus. Son poste de ministre Secrétaire général n’a ni été prévu dans l’architecture du nouveau gouvernement ni meublé. «Dans les faits, on se rend compte que sa suspension est effective, parce que c’est son adjoint qui conduit les passations de service», relève un membre du RPG.
Diawo Labboyah