Alpha Condé a beau dénombrer des dizaines d’absents et de retardataires dans les ministères qu’il visite, il tapera toujours à côté. Les problèmes cruciaux de la gouvernance guinéenne ne consistent pas à mener une lutte héroïque contre les embouteillages hérités de Naïté pour arriver au bureau à l’heure. Ils consistent plutôt à résoudre les contradictions, la corruption, le copinage et que sais-je encore, qui empêchent l’État d’être au service du citoyen. En novembre 2000, Hadja Aye Bobo Barry, alors inspectrice générale adjointe du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, avait écrit à son ministre, Moussa Solano, pour lui rappeler que sa gouvernance était pourrie et qu’il était temps d’y remédier. Quelque 20 ans après, dont la moitié sous la gouvernance Alpha, l’État n’est toujours pas au service du citoyen. Des visites inopinées n’y peuvent rien. Il convient d’aller bien au-delà pour gouverner autrement. Bonne lecture !
Document
Monsieur le Ministre,
Le déficit de communication entre le Cabinet et les services du MATDS est tel que souvent, les principales actions du Ministère et des projets liés au département de tutelle sont connus des travailleurs du MATDS, cadres compris, à travers les reportages de la RTG, lors du Journal télévisé. A quand remonte la dernière réunion technique hebdomadaire des cadres (de la structure officielle et non parallèle) autour du Ministère, pour discuter de tous les problèmes touchant notre département ? Personne n’arrive à répondre avec exactitude à cette question, hélas ! Cela aurait pourtant eu le triple avantage de tuer les fausses rumeurs dans l’œuf, de faire prospérer les meilleures idées, et de redresser la tendance à personnaliser le débat et à accabler des individus au détriment d’une analyse approfondie et rigoureuse du contexte d’ensemble dans lequel les directions nationales (et autres services) opèrent.
C’est, à mon humble avis, la rétention de l’information au niveau d’un petit groupe de quelques décideurs du moment, la politique d’exclusion dont la grande majorité est victime, la campagne de discrédit à l’endroit de certains cadres, la tendance à l’égocentrisme excessif des uns, et la cupidité affichée des autres, plongés dans un affairisme sans vergogne qui entraîneront, si on n’y prend garde, la brumeuse gestion, en général, du MATDS dans une situation qui risque d’éclabousser tout le monde. Pourtant, rien ne justifie les blocages tournant à la léthargie des services et donc des cadres dont le manque de vigilance et de réaction permet aux lacunes, erreurs et fautes de s’imposer comme une fatalité.
En effet, s’il y avait concertation, un seul cadre, fût-il le plus brillant, n’aurait pas été conseiller à la DND, président de la Commission financière, régisseur des élections, intérimaire du Directeur National de l’Administration du Territoire (muté ailleurs) vice-président d’un comité de réception et coordonnateur des composantes 2 et 3 de PRCI. Ce cadre ne se permettrait pas de domicilier dans un compte personnel (n°9843119510196) de la BICIGUI, IB.Bang, de gros montants de la régie des élections municipales et peut-être législatives, il n’émettrait pas des stocks importants de carburant (par le gestionnaire du personnel par exemple), qu’il répartit selon ses fantaisies et ses humeurs.
S’il y avait concertation, on aurait pu savoir par exemple le montant exact décaissé en faveur des femmes du département, à l’occasion de la Fête des femmes, le 27 août 2000. On parle de 70 millions de francs guinéens. De bonne foi, on aurait respecté la remise des 60 complets et du prix de la couture (5000 FG à ce qu’il paraît ?) à toutes celles qui étaient sur la liste. Or, cela n’a pas été le cas. Des femmes du département central listées ont été « omises » grâce aux collaborations immédiates des 3 premiers responsables, dont l’un d’eux a ordonné qu’on n’oublie pas « nos épouses ». Ainsi dit, ainsi fait. Les épouses du Ministre, Chef de cabinet et Secrétaire Général, ont été servies par l’achat d’autres complets, à savoir 4 pagnes pour l’une et 3 pagnes pour chacune des deux autres.
S’il y avait concertation, on aurait su également le chemin emprunté depuis 1999 par le 4×4 immatriculé IT-1033-ARG de la DND, qui devait revenir à la Direction Nationale des Libertés Publiques, et l’utilisation exacte, à l’heure actuelle, des 4×4 n° VA-0800-ARG et VA-0992-ARG, donnés à l’Inspecteur Général qui n’a pas daigné encore en informer son adjointe.
Les gens de mauvaise foi, pour cacher leur médiocrité, leurs méfaits, me traitent de difficile, méchante, indocile, et que sais-je encore…Non ! Je porte seulement en moi une révolte que j’exprime chaque fois que les circonstances l’exigent, comme quand je vois un petit groupe minable tenir des cadres à distance des principales activités du département, qu’il gère comme une affaire de famille et de petits copains, et pratiquer le vil système de diviser pour régner. Pourtant, la force et le succès d’une direction ou d’un cabinet d’un département viennent de sa capacité à utiliser rationnellement et effectivement tous ses cadres et ce, sans exclusive, afin de l’aider à trouver ce pour quoi chacun est plus spécialement doué, et de faire surgir, le moment venu, une élite digne de le représenter partout. Et non plus de favoriser les adeptes de la loi de la jungle et du tout pour soi. Il faut, Monsieur le Ministre, vous impliquer un peu plus pour repousser les limites de l’arbitraire et les abus d’autorité, car une «chèvre acculée peut mordre» et savoir que seule «la tolérance garantit la durabilité du toit de chaume», autrement, il brûle. La force des faibles, c’est leur refus de l’arbitraire et les exigences de dignité et d’intégrité.
Ainsi les détenteurs (gestionnaires) des ressources financières et matérielles du département ne doivent plus, à leur guise, disposer des biens et services, sans s’inquiéter et sans avoir à rendre compte de l’utilisation de ces ressources. Ainsi, bien des points qui paralysent le fonctionnement des services actuellement, pourraient être corrigés. Ce sont, entre autres :
- le manque de communication entre directions nationales,
- la concentration à outrance des ressources matérielles et financières au niveau d’un petit groupe qui a seul pouvoir d’en user ;
- la politique du court terme et du ventre avec les partenaires socio-politico-économiques risque de l’emporter pendant longtemps encore sur les exigences de développement à la base, de sérieux, de dévouement, de patriotisme, d’abnégation, d’intégrité des cadres, et de sécurité nationale,
- la facilité de création des ONG qui bénéficient de l’appui et du soutien de ce petit groupe, qui en retire des subsides énormes,
- l’attribution irrationnelle de marchés et contrats sont l’effet de la bonne grâce de ce groupe qui se fait rétribuer grassement en retour ;
- les projets sont le monopole et sous influence de ce même groupe qui se mêle de gestion,
- la différence de traitement des directions nationales (selon leur poids matériel et financier), des adjoints, des conseillers, des chargés de mission, etc…
- la distribution irrationnelle de véhicules de services à certains, au détriment des autres,
- la Secrétaire du Ministre se mêle de plus en plus de la gestion administrative et financière : elle intervient de façon inopportune. Les exemples sont légions.
- le vol éhonté des véhicules se service donnés par les bailleurs de fonds qui nous observent, surtout depuis les élections présidentielles jusqu’à maintenant,
- la soustraction frauduleuse et la mauvaise gestion du matériel offert par les bailleurs de fonds à l’occasion des différentes élections, cela nous ramène toujours à un éternel recommencement ;
- la section syndicale met à contribution (cotisations) les travailleurs quand il s’agit de cérémonie chez le Secrétaire Général et les principaux responsables, mais se désintéresse de celles qui se passent chez les plus humbles (décès, mariages, baptêmes).
Je souhaite que cette lettre ne soit pas perçue comme donneuse de leçons, croyez bien qu’elle est loin de moi cette prétention. Seulement, j’espère que les semaines à venir me donneront moins l’occasion de faire état de la colère. Car je suis consciente que ce n’est pas tout de critiquer. Encore faut-il faire des propositions constructives et montrer qu’au-delà de la méchanceté gratuite, de la gabegie, du clientélisme, de la cupidité, de l’égoïsme et du népotisme, l’espoir peut être au rendez-vous. L’entente parfaite qui se dessine au sein de la classe politique est à encourager parce que ne pouvant être qu’à l’actif de notre département qui gère les partis politiques. Et cet espoir germe déjà dans le regard et dans le cœur des populations guinéennes qui ne souhaitent que la paix, au grand dam des opportunistes qui profitent des sous de chaque élection et de tous ceux qui veulent mettre le feu à la grande case « Guinée », de l’intérieur comme de l’extérieur.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de l’attention que vous apporterez à cette requête, des critiques et améliorations que vous ne manquerez pas d’apporter à ses faiblesses, car l’important, on l’oublie souvent, ce n’est pas nous, mais la bonne santé et la bonne marche du MATDS, la confiance et le soutien des populations guinéennes se trouvant des centres urbains aux lointains districts de la République de Guinée.
Hadja Aye Bobo Barry