Une tribune de Macaire Dagry, Fraternité-Matin
Parmi les nombreux défis auxquels sont confrontés nos pouvoirs politiques africains, la réhabilitation et la crédibilité du service public demeurent fondamentales. Ces dernières années l’ont plongé davantage dans un état de décrépitude et d’avilissement que la tâche paraît insurmontable. Et pourtant, il va falloir y faire face et apporter des solutions.
Il y a tellement à faire à tous les niveaux pour remédier à toutes les déficiences structurelles, organisationnelles, psychologiques et comportementales, qu’il semble difficile de hiérarchiser des priorités. Le chaos structurel dans lequel se sont construits et évoluent nos services publics africains est à l’image de la pagaille et du désordre institutionnalisés de nos nations africaines. Nos Etats sont en pleine déliquescence ; entraînant dans leur déchéance le discrédit total de leurs services publics. De fait, cette situation de détérioration et d’incapacité de gestion de l’intérêt général a conduit à l’émergence d’une forme de corruption endémique et systémique. Tout le monde tire profit de tout en usant de sa position ou de son autorité pour s’enrichir et abuser les usagers du service public. Et tout cela semble normal. Le service public est tout simplement inexistant dans sa conception juridique et sociétale. En Côte d’Ivoire par exemple, les agents du service public considèrent que, « l’Etat a toujours fait semblant de les payer, donc, eux aussi, ils font semblant de travailler ». Tout est dit dans cette phrase qui a été reprise dans l’ouvrage de Stephen Smith, intitulé, « Négrologie », et qui a fait couler beaucoup d’encre, tant il a suscité de vives polémiques sur le continent et dans la diaspora. La notion de service public sous-entend de facto trois principes fondamentaux qui le composent et auxquels il faudrait rajouter un quatrième « principe ». Ces principes sont étudiés par tous les étudiants de première année de droit.
Le principe de la continuité
Le premier principe qui régit la notion du service public est celui de la « continuité ». Le principe de continuité du service public est une obligation de l’Etat dans sa gestion de la chose publique. Il a pour prérogative de faire en sorte que le service public soit ininterrompu sur l’ensemble du territoire national pour tous les usagers, et cela en dépit des aléas de la vie politique et sociale. Ce qui n’est pas toujours le cas dans nos pays africains. En général, les Etats ont des agents publics à leur image. Certaines administrations déconcentrées ou décentralisées et même centrales, sont parfois inopérationnelles par manque de moyens. Plus de rames de papier, d’encre pour imprimer, ordinateurs et imprimantes en panne ou volés. Quelques fois même, les stylos font défaut pour signer des documents administratifs. Pendant ce temps, l’usager grâce à qui ces fonctionnaires sont payés, se trouvent très souvent dans l’incapacité de se plaindre. Il subit ces disfonctionnements inadmissibles et scandaleux qui finissent par se transformer en véritable maltraitance psychologique et républicaine, puisqu’elle est pratiquée par la République, qui est censée Protéger ces citoyens.
Le Principe d’égalité
Le deuxième principe qui conditionne cette notion de service public est celui de « l’Egalité » entre les usagers. Là encore, ces dernières années ont été très riches d’enseignement sur son non respect. Il suffisait d’avoir un parent, une connaissance ou être la maîtresse d’une autorité dans une administration ou un service public pour que vole en éclat ce principe constitutionnel d’égalité entre tous les citoyens. Le fait d’être riche ou pauvre, militant de tel ou tel parti politique ou encore originaire de telle ou telle région du pays pouvait vous mettre de fait en situation d’inégalité face au service public. Le principe d’égalité devant la loi est bafoué en toute impunité et cela depuis bien longtemps sur le continent Africain et cela n’émeut plus personne. Ces disfonctionnements sont maintenant banalisés par ceux mêmes qui en sont les principales victimes. Ce paradoxe constitue de fait, une véritable perversité sociale et démocratique tant il représente un danger pour l’équilibre social et la stabilité de nos nations. On dit toujours, « nous sommes en Afrique, et donc c’est normal… ». Avec de tel raisonnement, nous cautionnons également ces inégalités qui créent de la frustration sociale ainsi que la disqualification de l’autorité publique.
Le Principe de mutabilité
Le troisième principe est celui de la « Mutabilité ». Il consiste à établir une obligation de mobilité des agents déconcentrés et décentralisés de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Un agent de l’Etat sait qu’il peut être affecté n’importe où dans le pays pour servir l’Etat, et surtout les usagers grâce à qui sont rémunérés ces agents. De ce fait, le respect de ces trois principes cités, sont des obligations régies par des lois qui ne sont pas toujours appliquées comme elles le devraient.
Le Principe de laïcité
Le quatrième principe qui ne fait pas partie des « Principes Historiques », mais demeure tout aussi fondamental que les trois précédents, est celui de la « Laïcité ». C’est une nécessité obligatoire et indispensable, au regard de l’idéologie religieuse sur laquelle est très souvent administrée nos Etats africains ces dernières années. C’est le cas par exemple de la Côte d’Ivoire ou la religion avait une forte influence dans les décisions et actions politiques et sociales de l’ancien pouvoir de Laurent Gbagbo. L’Etat s’était cristallisé autour du phénomène religieux qui a pris une place prépondérante au cœur même du pouvoir et du service public. Ce fut également le cas dans les médias d’Etat qui ont une mission de service public. Lorsqu’au cœur du pouvoir ivoirien, il était fait référence à Dieu, nous n’étions plus dans une République Laïque et démocratique, mais dans une Théocratie qui imposait une religion à l’ensemble des citoyens de diverses croyances religieuses. Le Sénégal ne fait pas mieux avec A. Wade qui s’affichait de manière soumise devant les chefs religieux musulmans de cette République Laïque qu’il a présidé comme une « affaire familiale ». Les chrétiens du Sénégal ont eu le loisir d’apprécier.
En réhabilitant ces quatre principes qui organisent le service public, nos pouvoirs africains contribueront d’une part à réconcilier les citoyens-usagers avec leurs services publics, les administrations et l’Etat. Et d’autre part, cela crédibilisera enfin l’ensemble des administrations centrales, déconcentrées et décentralisées. Si nos responsables politiques réussissent ce premier défi, qui n’est pas des moindres, ils auront en partie commencé à gagner la lutte contre la corruption, et la bataille pour l’instauration enfin d’un Etat de droit dans nos pays africains où la corruption gangrène fortement jusqu’à l’âme de nos dirigeants politiques préoccupés par la gestion de leur fortune et la succession de leur progéniture à la tête de nos Etats qui se désagrègent de plus en plus vite.