L’incarcération des leaders d’opinion inquiète la classe politique guinée-haine, tant qu’ici qu’à l’extérieur du bled. C’est du moins ce qu’a fait savoir ce mercredi 24 mars Ibrahima Sorel Keita, porte-parole du Collectif pour une transition en Guinée et vice-président de SOS racisme, invité de l’émission Œil de Lynx. L’opposant a exprimé d’entrée son soutien et sa compassion à tous les détenus politiques injustement incarcérés dans les différentes geôles de Guinée mais également à Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), récemment éconduit à l’aéro-hangar de Cona-Cris Gbessia, pour la deuxième fois. «Une démocratie a besoin de son opposition, d’une presse libre, indépendante qui s’exprime comme elle le souhaite, évidemment dans le respect de la loi. Je m’incline également devant la mémoire de tous ceux qui sont morts comme Roger Bamba et tant d’autres. Je pense vraiment que ce qui se passe en Guinée est inadmissible. Si le président Alpha Condé veut ‘’gouverner autrement’’ la première des choses qu’il doit faire, c’est de réhabiliter le droit de l’opposition et de libérer le plutôt possible les prisonniers politiques. Parce que cela est la moindre des choses dans un pays qui fonctionne normalement». Ibrahima Sorel Keita a également souligné l’importance de l’alternance dans un pays. Ce qui «permet aux citoyens de juger des capacités des uns et des autres et à mener la barque Guinée à bon port. C’est vraiment terrible qu’aujourd’hui les leaders de l’opposition ne puissent ni s’exprimer ni se mouvoir comme ils veulent. Voir leurs droits foulés au pied est inadmissible».
La vitalité de la démocratie passe également par une société civile libre et dynamique, renchérit l’invité qui dénonce l’exil forcé de certains de ses acteurs comme Sékou Koundouno et Ibrahima Diallo du FNDC. «Tout pays normal a besoin d’une société civile active et dynamique comme celle guinéenne. Malheureusement les leaders d’opinion de cette société civile sont emprisonnés ou persécutés. Tous ces gens, c’est des richesses pour notre pays. Qu’il y ait des gens dans l’opposition qui sont capables de porter un projet alternatif. Tout cela est simple pour la démocratie pour notre pays, et il faut que le président Alpha Condé le comprenne. Ces gens ne sont pas ses ennemis, ils sont ses adversaires qu’il doit respecter».
Sorel Keita appelle à l’union sacrée de toutes les forces vives nationales pour sauver la démocratie guinéenne. «La Guinée ne peut pas être ni la risée du monde ni une prison à ciel ouvert. Ce pays ne peut pas continuer malgré ses énormes richesses à être parmi les plus pauvres du monde. Cette dérive doit cesser. Je pense qu’il y a des gens de bonne volonté, y compris dans la mouvance, qui peuvent entendre ce message et faire pression sur le président pour qu’il se réveille. Qu’il ouvre les yeux, s’il est fatigué, il faut qu’il démissionne, qu’il permette à des gens capables de gérer ce pays de le faire ou que tout au moins il permette à la démocratie de survivre.»
Une plainte contre Alpha à Paris
Au cours de l’émission, Sorel Keita a rappelé qu’une enquête préliminaire a été ouverte en septembre dernier à Paris par le parquet national financier (PNF) suite à la plainte pour « corruption, trafic d’influence et blanchiment de corruption », déposée en août, par le Collectif pour la transition en Guinée (CTG). Auditionné lundi 15 mars dernier, par le parquet, Ibrahima Sorel Keita précise qu’il a été auditionné pendant plus de 3 heures. «C’est une affaire très grave. C’est une société qui s’appelle l’AMR (Alliance minière responsable) montée par des Français, qui a comme actionnaire M. Mohamed Diané. A l’époque, il était directeur de cabinet du président puis ministre des Affaires présidentielles, aujourd’hui il fait partie des hommes forts du régime. Deux jeunes, Romain Girbal et Thibault Launay ont créé une société et ont obtenu un permis d’exploitation minière avec la complicité de la société minière de Boké (SMB). Ils ont pu obtenir une prévalue de l’ordre de 200 millions de dollars quelque 170 millions d’euros. Nous soupçonnons aujourd’hui tout ce beau monde d’avoir monté une société offshore à Hong Kong. Cette prévalue se fait au détriment des populations de Boké et plus largement des populations guinéennes. Et sans compter le fisc guinéen. En fait, qu’est-ce qu’ils font ? Ils créent récupèrent une partie des dividendes qu’ils ont en Guinée pour les reverser ailleurs (France), à travers un montage financier assez douteux et confus. C’est ce qui intéresse le parquet national financier français. Cela devrait intéresser tout patriote parce c’est de l’argent dont les populations guinéennes sont spoliées. Aujourd’hui, cette population connaît un quotidien difficile».
A l’annonce de la plainte, l’AMR avait dit avoir conclu un contrat d’amodiation. Une pratique courante dans le secteur minier international, parfaitement conforme au code minier guinéen. « Nous n’avons jamais fait quelque chose d’illégal en France ou en Guinée.» L’AMR compte dans son conseil d’administration notamment l’ancienne patronne d’Areva, Anne Lauvergeon et l’armateur Edouard Louis-Dreyfus.
Sorel Keita reste optimiste : «Il y a de fortes chances que certaines personnalités soient mises en examen et que le peuple de Guinée puisse retrouver ses droits et que justice soit rendue».
Kadiatou Diallo