Face à la détention prolongée, sans jugement, des opposants, leurs avocats internationaux ont déposé une plainte la semaine dernière à la Cour de justice de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) contre l’Etat guinéen. Me Ivan Terel, avocat de Chérif Bah, d’Ousmane Gaoual Diallo et Cie, chez nos confrères d’Africaguinée, a dénoncé, le 16 mars, une procédure truffée de violations des droits élémentaires de leurs clients. Ceux-ci ont été placés sous mandat de dépôt depuis novembre 2020 à la Maison centrale de Conakry. Selon leurs avocats, même le secret d’instruction a été violé, motif du retrait de leurs confrères guinéens dans ce dossier. Cette plainte vise à soumettre à l’appréciation de la Cour la question du respect par la République de Guinée de ses engagements internationaux et des traités qu’elle a ratifiés. Le pool d’avocats attend aussi que la justice de la CEDEAO ordonne à la Guinée la « libération immédiate de nos cinq clients arbitrairement détenus depuis quatre mois. Nous demandons aussi que la Cour tienne compte de l’urgence de leur situation et qu’elle statue dans les meilleurs délais. Tant du fait de la gravité des violations de leurs droits que du contexte sanitaire et de leur état de santé, car la situation de nos clients réclame une intervention de très bref délai de la Cour. » Déjà, une plainte de l’Union des forces démocratiques de Guinée liée au processus électoral, avait été déposée par ses avocats auprès de cette juridiction qui n’a rien statué pour l’heure.

Me Ivan Terel estime qu’ils ont « suffisamment d’éléments » afin que la Cour de justice de la CEDEAO puisse «se prononcer et considérer la détention de nos clients comme étant arbitraire. Nous attendons la réponse que devra faire la Guinée à nos arguments dans le cadre d’un processus juridictionnel contradictoire. »

Le régime du Président Alpha Condé a arrêté plus de trois cent opposants au troisième mandat à travers le pays. En novembre 2020, il s’en est pris aux cadres de l’Union des forces démocratiques de Guinée, le principal parti de l’opposition. Le leader, Cellou Dalein Diallo se considérant l’élu de la présidentielle du 18 octobre dernier, conteste les résultats proclamés par la CENI, faisant d’Alpha Condé l’élu.

« Une œuvre d’injustice »

Les avocats français de l’UFDG, Ivan Terel et Patrick Klugman avaient été empêchés de venir en Guinée auprès de leurs clients. En fait, ils n’ont pas pu obtenir le visa guinéen à notre représentation diplomatique en France. «Dans ce contexte-là, voir le président de la Guinée ignorer purement et simplement les fonctions politiques de nos clients et affirmer candidement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, cela n’est pas possible. Je crois que le sort qui est fait à nos clients n’est pas une œuvre de justice, c’est une œuvre d’injustice dont ils sont victimes et, à travers eux, c’est toute la démocratie guinéenne qui est atteinte quand toute l’opposition se voit ainsi « criminalisée » ou menacée de l’être », a dénoncé Me Ivan Terel. Selon lui, il sera aussi question de mobiliser toutes les institutions afin dénoncer la détention arbitraire, la violation des droits des détenus politiques en Guinée.

« J’en appelle à tous les protagonistes, en Guinée et dans le monde, de prendre leurs responsabilités, de ne pas tenter de mettre de côté le problème qui est posé par la détention arbitraire de nos clients par le tort qui leur est fait, par la gravité de la menace pesant sur leur état de santé par les mesures de contraintes auxquelles ils sont soumis. Nos clients sont pris en tenaille entre d’un côté, le pouvoir guinéen qui prétend ne rien voir de politique dans cette affaire et de l’autre côté, une procédure excessivement longue et qui ne leur permet pas de se défendre. L’objectif étant, qu’ils soient oubliés à leur sort. De notre côté nous œuvrerons sans relâche que cela ne soit pas le cas et pour rétablir nos clients dans leurs droits. La priorité pour nous aujourd’hui, c’est d’obtenir leur libération », conclut-il.

Yaya Doumbouya