Durant les deux premières décennies de leur indépendance, de 1960 à 1980, les jeunes Etats africains profitent de la tendance haussière de la croissance de l’économie mondiale et des conditionnalités favorables du crédit qui en découlent pour lourdement s’endetter. Dans les années quatre-vingts, la détérioration des termes de l’échange, la baisse brutale des prix des matières premières et le fardeau du service de la dette étouffent littéralement les économies africaines et fragilisent les Etats qui n’en peuvent plus mais…..
Les politiques d’ajustement structurel inventées par les Institutions de Brettons Wood pour résoudre la crise de la dette souveraine de ces Etats associées au tsunami démocratique né de l’effondrement de l’URSS et de ses Etats satellites sonnent le tocsin, donnent l’estocade, notamment dans le giron francophone. C’est le moment que choisit François Mitterrand, Président français et fin politique, pour transformer la traditionnelle et banale rencontre des chefs d’Etat de France et d’Afrique en un cénacle de promotion de la démocratie. Il sait que l’époque est propice pour tenter, avec succès, une mutation en profondeur du schéma de gouvernance de ses pairs africains apeurés par les effets négatifs de la dette et du vent démocratique qui point à l’horizon. Il manie avec dextérité le bâton et la carotte. Les bons élèves, les dictateurs et les autocrates d’hier reconvertis en démocrates, seront caressés dans le sens du poil, bénéficieront de prime à la démocratie, auront davantage de subsides. Les nostalgiques du passé, les réfractaires à l’innovation, les récalcitrants seront sevrés de prêts concessionnels et de dons, voire d’IDE puis sacrifiés sur l’autel du FMI. Ils seront frappés d’opprobre, voués aux gémonies. Ces menaces calment les ardeurs, même celles des émules de Staline ou de Mao Zedong. Cette stratégie du Président Mitterrand désarme, en apparence, les velléités antidémocratiques des uns et des autres et engage tout le monde dans le processus démocratique. Les « pères » de l’indépendance et de la nation sont sommés de s’affranchir de la culture du Parti-État, de la conception paternaliste de la gouvernance, d’ouvrir l’espace politique et de promouvoir la pluralité des opinions politiques. Une telle dynamique devrait aboutir à l’étiolement, voire la disparition des formations politiques hégémoniques. En vue de l’émergence et de l’organisation du nouvel espace politiquement inclusif, la démarche la plus efficace est la conférence nationale au cours de laquelle les acteurs politiques débattent de projets de sociétés novateurs. Il faut dire que ces cénacles ont, par moments, offert des spectacles pathétiques, risibles. Par exemple, en pleurs, le Maréchal du Zaïre s’interroge « et le chef ? Où est donc sa place ? » Au terme des conférences nationales, on assiste à une formidable éclosion de formations politiques dans nombre d’Etats africains, y compris ceux qui n’étaient pas à la Baule.
Toutefois, on se rend rapidement compte que la disparition des partis uniques ne signifie pas celle de la pensée unique, de la culture et de la pratique qui les structurent. Dans la tempête, les potentats africains et leurs ouailles, comme le roseau de la fable de La Fontaine, plient mais ne rompent pas. Lorsque les soubresauts s’éloignent, ils se redressent et forts de leur meilleur enracinement au sein des populations mais aussi grâce à l’accès aux ressources de l’Etat, ils résistent, se maintiennent et jouent la farce de la démocratie. Ils remportent toutes les élections qu’ils organisent. « On n’organise pas des élections pour les perdre », glose le Gabonais Omar Bongo. Peu à peu, ils découvrent que le parti unique n’est pas nécessaire pour conserver ad vitam aeternam le pouvoir. Le contrôle du processus électoral et le tripatouillage constitutionnel permettent de parvenir au même résultat. Par ces subterfuges, on fait sauter les différents garde-fous mis en place dans la constitution pour limiter l’âge des candidats et la durée des mandats. Et vive le troisième mandat ! Ainsi ceux qu’on croyait avoir été fragilisés en 1990 et promus à la retraite, ont peu à peu repris du poil des bêtes et renoué avec leurs vieilles habitudes autocratiques et de déni de démocratie. La démocrature émerge et se substitue à la démocratisation. Au grand dam du Peuple !
Doré Kayoko Abraham