Le Cameroun est en pleine ébullition. De la présidence de la République aux sectoriels, chacun veut avoir le contrôle de l’audit alors que de graves atteintes à la fortune publique sont dénoncées. On parle ici d’une cagnotte de 135 milliards de FCFA. Que sont devenus les fonds versés dans le cadre de la lutte contre le coronavirus ? On ne sait pas grand-chose ; en tout cas, pas avant que toute la lumière soit faite. Mais déjà, des affrontements sanglants opposent plusieurs camps dans la maîtrise ou le contrôle des missions d’audit.
A la suite de la décision de Paul Biya de voir clair dans la gestion des fonds Covid-19, le secrétaire général à la présidence de la République est devenu la plaque tournante. Dans une correspondance adressée au secrétaire général des services du Premier Ministre le 8 avril 2021, le Secrétaire Général de la Présidence de la République l’a réitéré. Dans ce document, Ferdinand Ngoh Ngoh précise : « J’ai l’honneur de vous rappeler les très hautes directives du Chef de l’Etat contenues dans mes correspondances de références du 31 mars 2021, à savoir : la création d’une Task-Force Covid-19, logée à la présidence de la République, en complément du dispositif général existant ; la désignation du ministre d’Etat, secrétaire général de la République comme Ordonnateur du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales ». Il prend le soin d’indiquer que la Chambre des comptes de la Cour suprême a déjà rendu sa copie.
Avant cela, dans sa correspondance du 31 Mars 2021, Ferdinand Ngoh Ngoh a indiqué à l’attention du Sgpm qu’il leur a demandé « d’instruire les structures ayant bénéficié des fonds Covid-19, dans le cadre de la riposte contre la pandémie, de faire le point à date de l’usage de ces fonds, accompagné des justificatifs y relatifs ».
Mais le premier ministre, Dion Ngute, ne l’entend pas de cette oreille. Ce recadrage à l’endroit du chef du gouvernement intervient alors qu’en juillet 2020, la chambre des comptes avait été saisie par ce dernier lorsqu’il a reçu le rapport du ministre de la santé. En fait, au cours de l’année 2020, le ministre de la santé publique a adressé un rapport de gestion des fonds à son patron, le Premier ministre. Ce dernier a tout de même instruit un audit conduit par la Chambre des comptes de la Cour suprême pour voir clair dans cette gestion. Des multiples zones d’ombre avaient été décelées, a-t-il été dit.
Si donc aujourd’hui, le Secrétaire général à la présidence rappelle au Premier Ministre l’existence d’une task force, c’est sans doute parce que le chef du gouvernement ne veut pas lâcher le morceau. En effet, Ferdinand Ngoh Ngoh avait, au cours de la même période, saisi le ministre délégué à la présidence de la République chargé du contrôle supérieur de l’Etat pour une « mission spéciale » d’audit des inspecteurs du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe). Finalement, c’est à elle qu’est revenue la mission de mener une « mission spéciale » auprès du ministère de la Santé publique sur la gestion des fonds Covid-19.
La course pour l’audit des comptes Covid-19 intervient alors que le Fonds monétaire international (Fmi) exerce une énorme pression sur le Cameroun. En effet, on apprend que l’institution de Breton Wood a commandé un audit de gestion des fonds’ Covid, soit une enveloppe de 135 milliards de FCFA débloquée par le FMI en mai 2020 dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Des sources dignes de foi font état de ce que le Cameroun, à travers son ministre des finances, a négocié et obtenu du Fmi un nouvel accord de financement dont le décaissement des fonds est attendu courant avril 2021 au titre de la facilité rapide de crédit du mois de novembre 2020.
L’institution financière n’attend plus que les justificatifs de la gestion des fonds covid pour se prononcer sur une éventuelle décision de décaissement. C’est donc en urgence que le pays agit car il a besoin de l’argent pour financer son développement malgré l’impact négatif du Covid-19 sur les activités et les autres crises dans le pays, explique-t-on dans les milieux de l’économie et de la finance. De même, cette bataille intervient alors que dans une correspondance adressée, le 6 avril dernier, cette fois au ministre de la justice, le Secrétaire général de présidence répercute les instructions du Chef de l’Etat sur de potentielles poursuites judiciaires contre les défourneurs de ces fonds covid. « J’ai l’honneur de vous répercuter les hautes directives du Chef de l’Etat, prescrivant l’ouverture d’une enquête judiciaire contre les auteurs, coauteurs et complices des cas de malversations financières (…) », a écrit Ferdinand Ngoh Ngoh à Laurent Esso.
Pourquoi donc ces tiraillement entre les réseaux ? On comprend que qui contrôle l’audit en contrôle les conclusions. Cette gestion des fonds covid est en train de donner une poussée de fièvre à tout le pays, dans un environnement de soupçon de malversations financières et de prise illégale d’intérêts. Le député Jean Michel Nintcheu du Social Democratic Front (SDF) a parlé au cours de la session parlementaire de mars de « soupçons de prise illégale d’intérêts, de conflits d’intérêts, de corruption, de détournements de deniers publics » de l’ordre de 50 milliards de FCFA débloqués par les pouvoirs publics pour la riposte contre la propagation du Covid-19. Ces soupçons ont été rejetés par le patron de la santé, Manaouda Malachie qui a indiqué sur les ondes de la télévision nationale qu’environ « 34 milliards de FCFA ont été dépensés inclus le coût des tests de dépistage rapide que nous avons acquis ».