Dans un arrêt rendu le 13 avril 2021, la chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris a débouté l’État Guinéen dans l’affaire qui l’oppose à la société A.D. -TRADE BELGIUM SPRL. L’entreprise belge avait contesté en justice la rupture unilatérale de son contrat et obtenu la condamnation de l’État en 2017.
Le 11 janvier 2011, l’État Guinéen concluait deux contrats avec la société AD Trade. Le premier, dénommé Léopard, concernait la fourniture de biens et de prestations de services relatifs à l’établissement d’une unité de renseignement présidentielle. Le second, dénommé Panthère, concernait la fourniture de biens et de prestations de services.
Suite à un litige survenu entre les deux parties, ces contrats ont été résiliés de façon unilatérale. L’État guinéen estime, entre autres griefs, que l’attribution du contrat Léopard ne respectait pas son code des marchés publics. La société AD Trade a porté l’affaire devant le Tribunal arbitral de Paris.
Le 22 novembre 2017, ce tribunal a condamné la République de Guinée à s’acquitter du règlement de ses factures impayées, soit 31 906 745 euros pour les services et matériels fournis dans le cadre du contrat Léopard, à verser 13 782 599 euros à titre d’intérêts moratoires, 157 402,50 dollars américains au titre des frais d’arbitrage et 385 119 euros à titre de frais de défense. Au total, plus de 46 millions d’euros, auxquels il faudra rajouter une pénalité de 10,3%, partant du 6 octobre 2016, jusqu’au paiement intégral de tous les montants impayés dans le cadre du contrat Léopard. Une addition salée que notre pays a contesté en appel le 17 mai 2018.
Selon l’arrêt rendu par la cour d’appel, la Guinée estime que l’attribution du contrat Léopard a violé l’article 37 du code guinéen des marchés publics qui stipule : « Tous les marchés publics, [quels que soient] leurs montants et leurs sources de financement, sont soumis à l’approbation du Ministre chargé des finances, lequel peut déléguer son pouvoir d’approbation dans des conditions qu’il fixe par arrêté […]./ Les Marchés publics qui n’ont pas été approuvés, conformément aux dispositions du présent chapitre sont nuls et de nul effet, ainsi que tous les actes accomplis pour leur exécution ». La Guinée estime en fait qu’il y a eu escroquerie, vu que « les prix du contrat Léopard révélerait qu’AD TRADE aurait délibérément trompé son cocontractant sur la valeur des prestations et équipements fournis et sur l’adéquation des prix proposés ».
De plus, ces contrats auraient été conclus en violation d’un embargo de l’Union Européenne visant certains équipements militaires ou autres équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, à destination de la République de Guinée. Il s’agissait alors de sanctionner la junte de Moussa Dadis pour les événements effroyables du 28 septembre 2009. Selon l’argumentaire de la Guinée, les équipements fournis par la société AD Trade dans le cadre du projet Léopard « entraient également dans la définition d’équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression, tel que visé à l’article 1.1 de la Décision 2010/638/PESC et au regard de la liste établie à l’annexe I du Règlement n° 1284/2009».
Une partie de ces équipements d’ailleurs, du matériel d’écoute, de surveillance et de localisation de pointe et raison d’un troisième grief, n’aurait pas été livrée :
«– Un système TrackPoint, ayant pour objet de recueillir, analyser et afficher les emplacements d’utilisateurs de téléphones mobiles en temps réels,
– Un système GALTrack qui a pour objet la surveillance de communications téléphoniques,
– Un système Cobra, permettant des mesures de paramètres de fréquences radioélectriques (localisation de l’émetteur),
– Un Centre de contrôle et de commandement (C3),
– Un véhicule de commandement, de filature et de surveillance,
– Un système GTrack d’interception tactique de communications,
– Un système TOPEYE de surveillance aérienne Jour/Nuit depuis un ballon gonflé à l’hélium,
– Divers équipements de surveillance audio et vidéo et de contre-surveillance (détection et localisation de systèmes de surveillance), dont les systèmes Oscor. »
Excusez du peu !
La société AD Trade a fait remarquer que selon le code des marchés publics, c’est l’État guinéen qui est chargé de la soumission du contrat au Ministère des Finances. Si violation il y a eu, elle ne saurait en être tenue responsable. Elle note au passage que l’État guinéen respecte très peu l’article 37 dans l’attribution des marchés publics. Sur l’embargo, la société a produit des rapports d’experts attestant que son matériel ne violait aucun interdit de l’Union Européenne.
Le tribunal pour sa part dans son arrêt estime que si plusieurs éléments du matériel incriminé sont susceptibles de relever de plusieurs catégories frappées d’embargo, les rapports d’expertise indiquent qu’ils restent en dessous des seuils fixés par l’Union Européenne. Vu que l’inexactitude du contenu de ces rapports n’a pas été démontrée par la Guinée et qu’une partie du matériel incriminé n’a pas été livrée, on ne saurait parler de violation de l’embargo.
En conséquent, la Cour d’appel a maintenu la sentence du premier jugement, et condamné la Guinée à payer 200 000 euros de plus à la société AD Trade Belgium.