Les vieux Guinéens qui ont pris leur première dose de vaccin Spoutnik le 30 mars au centre de santé de Lambanyi, commune de Ratoma, ont dû se retrouver, à leur corps défendant, dans un processus inextricable de déficits de vaccin et d’information. Accompagné de la dose ordinaire de corruption qui caractérise le pays. Le tout, sur fond de manipulations ethniques et régionalistes propres au régime du Président Grimpeur.

L’équipe de vaccination de Lambanyi est divisée en deux groupes. L’organisation spatiale de l’unité a ceci de spécifique : à votre arrivée, vous tombez forcément sur le groupe qui vaccine. Vous prenez votre dose selon votre âge. Spoutnik, pour les plus vieux et les moins chanceux. Vous passez devant le second groupe, chargé de l’information et de la statistique. On prend votre identité, votre statut, votre profession et tout le reste. On vous tend une fiche que vous devez lire et signer si vous êtes d’accord d’être vacciné. Vous vous adressez le plus poliment du monde à l’assistant : Monsieur, j’ai signé la fiche. Est-ce que je peux la lire maintenant ? — Oui, oui, vous pouvez lire. Et puis, on vous tend votre carte de vaccination, correctement remplie: région, commune, site de vaccination, nom, prénom, sexe, âge, profession, téléphone, quartier, type de vaccin, lot 1, date de la première dose : 30 mars 2021 ; date de la seconde dose : 20 avril. La carte est signée ferme de Dr. Sakoba Kéita. Vous déposez la fiche signée et vous attendez le 20 avril de pied également ferme.

Le 20 avril, vous voilà à Lambanyi. Vous exhibez votre carte.

– Il n’y a pas de vaccin, monsieur !  
– Il n’y a pas de vaccin ?
– Non, il n’y a pas de vaccin.
– La seconde dose, c’est aujourd’hui.
-Il n’y a pas de vaccin. Revenez demain !

Le lendemain 21 avril, vous voici au centre de santé de Lambanyi. Point de vaccin.

– Puisqu’il n’y a pas de vaccin, que dois-je faire ? Dans quel état sanitaire suis-je ? Quelles conséquences sanitaires sur quelqu’un qui n’a pris qu’une dose de Spoutnik ? Qu’est-ce que…, Qu’est-ce que…Comment…? Pourquoi… ?
– Monsieur, il n’y a pas de vaccin. Prenez le numéro de la dame-là et appelez demain !

Le lendemain, le sur lendemain, les jours suivants, « la porte ne s’ouvre pas. » On ne répond même plus. Pourtant les bruits persistent, la corruption signe. Quatre personnes se sont fait vacciner au Spoutnik dans des quartiers où la fusée russe est censée faire défaut. Quatre personnes, il faut le répéter.

Les acrobaties se succèdent. Les coups de fil se multiplient. Certaines incertitudes s’estompent. Les premières confirmations apparaissent au grand jour. Suivies de la discrétion requise. Les prix ont varié entre 150 000 et 200 000 francs glissants. Selon votre capacité de négociation et votre habileté de dénégation au cas où un intrus souhaiterait y mettre le nez. Ou se faire vacciner à l’œil. Puis, arrive cet heureux jour du 23 avril où vous apprenez que vous pouvez prendre votre seconde dose de Spoutnik à Gbessia en toute tranquillité. Au siège de la Coordination de la Guinée Forestière. Surtout si vous y allez avec quelqu’un qui a reçu une petite invitation. Avec toute la gentillesse, on vous vaccine sans arrière-pensée ethnique. Le tour est joué.

Le tour est-il joué avec les autres coordinations aussi ? Il ne fallait pas poser la question. Il ne fallait se poser cette question. La réponse est hautement préjudiciable à l’unité nationale et à la logique de l’administration d’une pandémie comme celle de Covid-19. A Gbessia, l’équipe de vaccination aurait été obtenue grâce à l’amitié, à la proximité et à la parfaite harmonie entre le Chef de l’État et le patron de la Coordination, même si celle-ci ne coordonne pas tout le monde de la même manière. Je me demande encore si j’aurais réuni suffisamment de courage pour y accompagner un certain Sékou Koundouno,

Pour les autres coordinations, tout semble très mal coordonné. On baigne dans un dualisme sournois. Le flou semble mieux s’en tirer en Haute Guinée. La Basse-Guinée n’échappe pas aux méfaits des ombres contradictoires de Nana Souna Yansané et d’El Hadj Sékhouna Soumah. Au Fouta, c’est carrément le scandale en temps de pandémie. Que chacun aille se faire vacciner où bon lui semble. Faute de certitude de ce que l’on vous inocule, on se contente souvent les mesures barrières. Il a fallu attendre le 26 avril pour entendre l’ANSS dire que ceux qui n’ont pris qu’une dose de Spoutnik ont jusqu’à trois mois pour en prendre la seconde. Ce n’était trop tôt. Croyez-moi ! Quand le déficit d’information, les manipulations politiciennes et le Coronavirus s’entre mêlent, la rupture de stock du vaccin devient secondaire.

DS