«Pour les avocats, une décision de justice n’est bonne que quand elle est favorable aux personnes qu’ils défendent ou dont ils défendent les intérêts. Pour eux, toute décision judiciaire qui ne va pas dans le sens des intérêts de leurs clients est forcément mauvaise». Voilà un reproche que l’on fait souvent aux avocats lorsqu’ils critiquent des décisions de justice. Mais c’est un reproche qui n’est absolument pas fondé. En effet, à moins d’être un piètre juriste, un avocat est à même, en lisant les motifs d’une décision, de savoir si elle est bonne ou mauvaise, même si elle est rendue en faveur ou contre son «client».
Lorsqu’un avocat reçoit le dossier d’un client, l’une des toutes premières choses qu’il fait est d’écouter ses explications, de noter ce qu’on appelle les faits de la cause. Ensuite, il essaie de trouver une qualification juridique à ces faits qui lui ont été exposés à l’état brut, pourrait-on dire. Enfin, sur la base de cette qualification, il recherche le texte ou les textes juridiques applicables à la situation juridique qu’il a identifiée. C’est en fonction de ces opérations qu’il recherche les arguments à exploiter pour faire triompher la cause qu’il défend. Il arrive dans certains cas que ces arguments soient arrêtés d’un commun accord avec son «client».
Devant le tribunal, le rôle de l’avocat va consister à amener à rallier le juge à rallier à sa cause ou à sa thèse au moyen d’arguments susceptibles d’étayer celle-ci. Ainsi, avant d’engager un procès, un avocat rigoureux dans son travail, est capable d’évaluer les chances de succès de sa cause et/ou les risques d’échec y afférents. Il peut avoir une idée plus ou moins approximative sinon exacte de l’issue du procès qu’il a engagé ou qui a été engagé contre son client. En fonction de sa propre évaluation, il peut conseiller utilement «son client» sur l’opportunité d’engager ou ne pas engager un procès, de négocier ou de ne pas négocier avec son adversaire, et s’il doit négocier, à quelle condition. L’avocat s’appelle aussi «conseil»; à ce titre, il a une obligation de conseil vis-à-vis de son «client» puisque c’est le technicien, le spécialiste.
Dans sa mission, le juge fait à peu près le même cheminement. Il est saisi de faits auxquels les parties en conflit donnent une qualification juridique et lui soumettent des demandes fondées sur des arguments. Les parties en conflit peuvent même se contenter d’exposer les faits qui sont à la base de leur litige sans indiquer les règles de droit applicables car le juge est censé connaître le droit, les règles juridiques applicables à chaque cas d’espèce. On exprime souvent cette idée par la phrase suivante attribuée au juge s’adressant aux parties en conflit, «Donnez-moi les faits, je vous trouve ou vous donne le droit.» Bien entendu, il n’est pas lié par les qualifications juridiques ou les arguments des parties. Il peut substituer à ceux-ci les siens conformément à ce qui est prévu par la loi.
Ainsi, le juge de son côté, procède à une opération qui consiste à donner une qualification juridique des faits qui lui ont été exposés et leur applique la solution juridique que le législateur a prévue pour le cas d’espèce à travers un texte donné. Certains pourraient même dire ainsi que l’office du juge est simple. Ce qui n’est pas toujours vrai.
Le juge peut se tromper dans l’appréciation ou l’examen des faits tout comme dans l’application de la loi en faisant notamment une mauvaise interprétation de celle-ci. C’est dans cette optique que certains peuvent parler de mauvaise décision et c’est pourquoi des voies de recours existent. L’erreur judiciaire est inhérente à l’office du juge car c’est un humain. La perfection est du domaine de Dieu.
Mais ce qui choque, c’est le fait pour un juge de violer délibérément la loi en prenant une décision, parce qu’il a été soumis à des pressions de telle ou telle nature auxquelles il n’a pu résister ou parce qu’il a fait montre d’une insuffisance professionnelle. C’est dans ces hypothèses qu’il y a souvent un tollé quand une décision de justice est rendue.
C’est pourquoi chaque acteur de la justice doit faire preuve de bonne foi et accorder le bénéfice de la même bonne foi à l’autre. Chaque professionnel de la justice doit faire l’effort de tenir compte des griefs de l’autre lorsqu’ils sont articulés sans volonté de nuire. C’est ce qui pourrait mettre «la famille judiciaire» à l’abri de certaines querelles ou contradictions préjudiciables à son image.
Me Mohamed Traoré,
Avocat, ancien bâtonnier