La Guinée a ratifié la Convention de Bamako, la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, la Convention de Bâle, elle a signé l’Accord de Paris sur le climat, mais elle s’est ratée face aux déchets et à la pollution. Cette enquête est la dernière de la série d’articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa, en français Initiative pour des sociétés ouvertes en Afrique de l’Ouest).

En Guinée, çà et là en Afrique, le marché d’occasion à pignon sur rue (ordinateurs, téléviseurs, téléphones portables, réfrigérateurs, machines à laver et meubles…) de seconde main d’Europe et d’Amérique sont déversés en Guinée. «Nous recevons des colis en provenance de la France, on les dédouane au Port autonome de Conakry. Parfois, nous éprouvons des difficultés à les faire sortir, la procédure est un peu lourde. Une fois débarqués et exposés devant le magasin, les clients viennent récupérer leurs colis. Il arrive aussi que nous vendions des frigos, des micro-ondes, des machines à laver, des cuisinières, des ventilateurs», explique Mamadou Aliou Barry, transitaire fret aérien et maritime.

 «Nous les branchons pour voir s’ils fonctionnent, on donne une période de garantie au client», dit Idrissa Camara, vendeur. Si le Guinéen lambda y trouve son compte, ces appareils constituent une source de pollution : les déchets de ces déchets contiennent à l’ordinaire des éléments toxiques, qui se retrouvent libres dans la nature, une fois l’appareil en fin de vie.

Gestion, quelle gestion !

En Guinée, depuis 2016, l’ANASP, Agence nationale de l’assainissement et de la salubrité publique s’occupe du ramassage et du traitement des déchets. Seulement voilà, les déchets électriques ou électroménagers ne vont pas à la décharge. Des personnes récupèrent ces objets pour en extraire des pièces réutilisables. Au centre de tri à la main de Ratoma (Kakimbo) : «Les ferrailleurs achètent l’unité avec nous, entre 20 000 et 30 000 francs guinéens, selon le poids», confie un responsable du centre qui a requis l’anonymat.

Ces chineurs de ferraille extraient principalement le cuivre, l’aluminium, le fer : «Ce sont des appareils qu’on n’incinère pas. Par jour, nous pouvons gagner jusqu’à 15 kg de fer issus des congélateurs et autres appareils. Nous achetons le kilogramme de cuivre à 40 000 francs guinéens, nous le revendons, généralement aux Indiens, à 50 000 Gnf. Nous avons souvent deux à trois kilos de cuivre par jour, il est très rare. Seuls quelques grammes se trouvent dans les congélateurs, ventilateurs, écrans-télé. Les climatiseurs donnent 4 à 6 kilos, les ventilateurs ne contiennent que le fer, pratiquement», explique Abdoulaye Sidibé, ferrailleur.

Dans la commune de Kaloum, en face de la Blue-zone est couru le cuivre des climatiseurs, mais davantage s’en trouvent les moteurs : «Nous avons des fois, des moteurs de 8 ou 9 kilogrammes que nous vendons à 30 000 francs guinéens l’unité. Nous donnons les tôles aux fabricants de fourneaux», indique un autre ferrailleur.

Le cuivre, l’aluminium et le fer on les fourgue généralement aux Indiens et Chinois. Les frigoristes s’y mettent aussi, ils cannibalisent les machines. Mohamed Cissoko, diplômé en froid industriel, explique : «Nous avons besoin de ces appareils qui ne fonctionnent plus, nous les démontons et prenons les pièces non endommagées : brûleur, thermostat, sélecteur que nous réutilisons pour réparer d’autres appareils». Plus d’un appareil sur deux sont abandonnés à l’air libre et contribuent à la pollution de l’environnement.

Une opportunité douanière

Une véritable économie s’est constituée autour du marché d’ocaze. L’État y trouve son compte. La douane est au diapason. «Parfois, on débourse 35 millions pour dédouaner un conteneur, parfois plus. On nous demande régulièrement des suppléments d’argent. Pour ne pas faire attendre la clientèle, on paye», se plaint un transitaire qui a requis l’anonymat. L’article 12 du Code des douanes stipule: «Le gouvernement est autorisé, dans les conditions compatibles avec ses engagements internationaux, à modifier le tarif des douanes d’importation et d’exportation, à suspendre ou à rétablir, en tout ou partie, les droits inscrits à ce tarif. Ces dispositions doivent être prises par ordonnance qui devra être régularisée par une loi».

La nomenclature tarifaire actuelle des droits et taxes de la Guinée est de 27,01% à l’entrée et de 2% à la sortie pour : les réfrigérateurs, congélateurs, appareils du froid, équipement électrique, pompes à chaleur. Selon la Division des statistiques de la Direction générale des douanes, en 2020, dans la catégorie des réfrigérateurs, congélateurs, la Guinée en a importé 239 905, 6 313 machines à laver, 313 149 télévisons et 25 765 fers à repasser électriques. Ces chiffres concernent à la fois appareils neufs et usagés, (Douane).

Politique cafouilleuse

La Guinée a signé la Conventions de Bâle (Suisse) et celle de Bamako (Mali) relative à la gestion, l’importation et l’incinération des déchets dangereux en Afrique. Elle a aussi voté en juillet 2019 le nouveau Code de l’environnement qui confie la gestion de l’environnement au ministère du même nom et à ses directions ou services, puis aux collectivités locales, puis au secteur privé. L’article 103 de ce texte indique la collecte, le traitement et l’élimination de tous les déchets, quelle que soit leur nature, «de manière respectueuse de l’environnement afin de prévenir, supprimer ou réduire leurs effets nocifs sur la santé de l’homme, des ressources naturelles, la faune, la flore et la qualité de l’environnement». L’article 153 enfonce le clou : «Toute activité caractérisée par un niveau élevé de pollution ou dégradant les ressources naturelles et l’environnement est assujettie au paiement de taxes et redevances indépendamment des autres obligations fiscales».

Depuis 2010, le gouvernement a tenté différentes approches de la gestion des déchets. À ce jour n’est visible nulle politique nationale, précise et cohérente de l’assainissement et la gestion des déchets. Des PME assurent la pré-collecte et acheminent les ordures ménagères au niveau des points de regroupement. La décharge des ordures est assurée par le SPTD, Service public de transfert des déchets, qui gère la décharge de la Minière. Ce n’est pas une réussite. En octobre 2019, le gouvernement a revu sa copie, il a confié la gestion des ordures aux sociétés turque Albayrak et italienne Piccini. La première s’occupe du ramassage, l’autre de la gestion des décharges, tout ça a coûté 50 milliards de francs guinéens par an. L’Union européenne a mis la main à la poche : 35 millions d’euros pour le projet SANITA, mis en œuvre par Enabel, (Agence belge de développement). Olivier Chanoine, le responsable de SANITA nous dit que les Guinéens produisent en moyenne 0,4 kg de déchets par habitant et par jour. Et de préciser : «Ces déchets contiennent actuellement 20% de plastique, 12% de papier, plus de 50% de produits compostables, des canettes métalliques et un peu de bois et de déchets inertes (béton, tuiles et briques, vitrage). Le système actuel permet de collecter 20 à 30% de ces déchets». Le reste élit domicile en plein air. Pour lui,  le recyclage par quartier réduirait les déchets collectés de 0,1 à 0,2 kg par habitant et par jour. Le système de collecte et de tri SANITA coûterait 30 000 Gnf par ménage et par mois. La pollution s’intensifie, elle s’en tape. (A suivre…)

Oumar Tély Diallo

Yaya Doumbouya

et Yacine Diallo