Les entrepreneurs dans le secteur agricole se mettent de plus en plus en coopérative. Un entreprenariat collaboratif pour être plus compétitif. C’est quoi une coopérative ? Comment fonctionne-t-elle ? Est-ce l’avenir du développement agricole en Guinée ? Nous avons parlé avec Mme Diariou Sow, installée à Kindia, fait dans l’agroalimentaire, préside la COAPIK (Coopérative des agro-preneurs innovateurs de Kindia). Elle répond dans cette interview exclusive !
La Lance : C’est quoi une coopérative et comment elle fonctionne ?
Mme Diariou Sow : Je suis dans l’agroalimentaire, dans la chaîne de valeur à Kindia, depuis trois ans, avec une entreprise de production d’ananas, de transformation de céréale local et de commercialisation. Je préside aussi une coopérative de jeunes (hommes et femmes) à Kindia depuis 2020. Une coopérative, c’est d’abord une entreprise ou une association autonome de personnes volontaires réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques socioculturels communs au moyen d’une entreprise dont la prospérité est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. Les entreprises en coopérative sont des entreprises en démocratie, elles élisent un président et des membres exécutifs.
Les jeunes entrepreneurs se mettent de plus en plus en coopérative. Selon vous, cela peut-il booster l’entreprenariat local ?
Dans le domaine agricole, une coopérative est une entreprise créée par les agriculteurs et qui leur appartient collectivement, qui valorise les produits agricoles, mais qui produit et qui s’entraide. Par exemple, aujourd’hui, moi je suis membre de la coopérative COAPIK (Coopérative des Agro-preneurs innovateurs de Kindia), j’en suis la présidente, des personnes m’entourent qui excellent dans la production de rejets d’ananas comme dans l’identification d’un champ. Ils m’aident, on s’entraide. Lorsque je rencontre une difficulté dans mon champ, un membre est prêt à aider. Aujourd’hui, les jeunes ont compris l’importance de se mettre ensemble. Avant, c’était la concurrence, à tout le moins. Aujourd’hui, dans le domaine agricole, ils ont compris que se mettre ensemble était mieux pour le développement de leurs communautés.
Je ne sais votre âge, mais je vois que vous êtes jeune. Est-ce qu’aujourd’hui le rural fait vivre le citadin ? Comment intéresser les jeunes à l’agriculture, à l’agro-industrie, en somme à l’agro-business ?
Vous savez, l’agriculture n’est pas très bien vue, mais elle se modernise petit à petit. Tu disais à quelqu’un que tu es agriculteur ou agricultrice, il ne te regardait pas. Aujourd’hui, les jeunes ont compris l’importance de l’agriculture dans le développement économique du pays mais aussi dans le développement de leurs communautés. Il est courant, les jeunes se livrent volontiers à la production. Je suis très jeune, je me suis lancée dans la production entre 22 et 23 ans. Aujourd’hui, je remercie Dieu. Ce que je fais, tout le monde peut le faire.
On dit que le développement économique passe par le secteur agricole. Partagez-vous cet avis ?
Le développement économique passe par le secteur agricole. Moi, je ne vais pas le cacher. Dans les autres pays par exemple, nous avons vu combien de fois l’Etat s’investit dans l’aide aux jeunes agriculteurs ou aux paysans pour leur développement. Avouons que ce n’est toujours pas facile. A Kindia, les jeunes sont confrontés à beaucoup de problèmes, on incendie volontairement leurs champs. Cela n’est pas encourageant, mais pour ceux qui persévèrent, il y a de l’espoir. Je pense que les jeunes commencent à comprendre l’importance de l’agriculture. Je dirai que les jeunes Guinéens sont prêts.
Qui dit agro-industrie, dit gros défis, surtout dans un pays comme le nôtre : logistique, accessoires…
On a des défis, qui sont loin d’être relevés, je le disais tantôt, nous manquons d’aide publique. Les institutions arrivent à palier certaines situations, mais l’État guinéen est en reste. Nous avons des problèmes d’engrais, le sac qui était en 2017-2018 à 200 000 ou 300 000 GNF est aujourd’hui à 800 000 GNF. Il faut une volonté politique, pour nous accompagner dans ce secteur-là. Les emballages, on est obligé de les importer, pour des coûts supplémentaires qui s’ajoutent aux produits finis. Même s’il y a une exigence aujourd’hui des consommateurs, je pense qu’il doit y avoir une volonté d’aider les entrepreneurs, surtout dans la logistique, nous sommes quasiment enclavés, à cause du mauvais état de nos routes. Lorsque je fais ma récolte d’ananas, c’est très difficilement que mes clients accèdent à mon champ. Cela n’encourage pas. Il faut une bonne volonté politique forte d’aider les agriculteurs. L’agriculture est l’un des secteurs les plus porteurs en Guinée, après les mines.
Comment faites-vous pour écouler vos produits ? Vous ne donnez qu’à Conakry ou bien vous parvenez à fournir l’intérieur du pays, à exporter ?
Je vais parler de la production de l’ananas que je maitrise mieux. Nous vendons principalement aux femmes du bord de la route Kindia-Conakry, Kindia-Mamou. Je ne sais si vous faites cette route, les femmes, nos principaux clients, viennent au champ, à mototaxis parfois à pied, acheter notre production. On ravitaille les hôtels de Conakry, à l’extérieur nous ravitaillons notamment le Mali et le Sénégal constituent des grands débouchés. Mais avec les routes que vous connaissez, ce n’est pas facile. C’est à nous de leur envoyer l’ananas à Dakar. Ce n’est pas facile pour eux de venir en Guinée.
Et la frontière est actuellement fermée entre la Guinée et le Sénégal…
Peut-être que vous allez me voir bientôt avec une pancarte devant Sékhoutoureya, je vais bientôt faire ma récolte, si les frontières sont fermées… Le Covid-19 nous a complètement détruits, mais aussi la fermeture de la frontière terrestre, le Sénégal est l’un de nos plus gros clients. Parce que nous petits producteurs ou petites productrices, nous n’arrivons pas à faire l’exportation par le cargo qui va nous couter très cher. Je pense que c’est quelque chose aussi à revoir pour nous aider.
Vous êtes au champ, vous produisez, mais vous êtes également présente dans la transformation. Comment parvient-on à construire la chaîne de valeur jusque dans l’assiette du consommateur ?
Pas très évident, mais nous essayons d’y arriver. Par exemple, dans notre coopérative COAPIK, (je parle au nom de la coopérative en général et non au nom de mon entreprise), nous avons mis en place un système qui nous permet de collecter la production des différents membres. Il y a 50 à 60 membres qui font de la tomate et le concombre. Nous arrivons à collecter les productions à la fin de la semaine, le samedi ou le vendredi, nous prévenons nos clients de Conakry, Kamsar et Mamou, ça dépend. Donc, nous arrivons à mettre en place un circuit court pour des livraisons des fruits et légumes à la fin de chaque semaine. Même avec la route Kindia-Conakry qui est un calvaire, vous le savez, nous arrivons quand-même à nous en sortir petit à petit.
Parlons des femmes. Vous disiez que les femmes en bordure de la route nationale numéro 1 sont vos plus grosses clientes. Quelle est la place de la femme dans les coopératives ?
Peut-être c’est quelque chose qu’on ne sait pas, mais les femmes ont commencé à se mettre ensemble depuis très longtemps. Elles s’entraident en Guinée depuis très longtemps, pas dans la capitale mais dans les régions, c’est très répandu. Parce que lorsque moi je ne sais pas faire quelque chose que l’autre peut faire, en région, le plus souvent, je viens vers lui pour lui demander comment le faire. Cela permet de contribuer à l’atteinte des solutions durables aux problèmes socioéconomiques des membres. Je ne sais si j’ai répondu à la question, mais je pense qu’entre nous déjà, on a eu à s’entraider pour se faire de l’argent, atteindre nos objectifs.
L’autre problème qui est très souvent évoqué dans des grandes rencontres pour les femmes, c’est le problème de l’accès à la terre. Je ne vous demanderais pas peut être votre expérience personnelle, vous qui avez un domaine cultivable à Kindia. Mais à votre avis, cette question est-elle toujours cruciale pour les femmes ? Est-il facile pour elles d’avoir des domaines agricoles ?
Cette question reste cruciale et permanente, parce que nous sommes dans un pays patriarcal, malheureusement. Pour nous les femmes, qu’on se lève le matin, qu’on se batte jusqu’au soir, la réalité sur le terrain montre encore que les femmes sont très minoritaires comme propriétaires des terres. Malheureusement, la terre est toujours gérée par le droit coutumier, qui reconnaît rarement le droit des femmes. C’est vrai qu’il y en a, mais c’est très rare de voir des femmes propriétaires de terre. Elles peuvent hériter de leurs parents, mais c’est encore très rare que ça soit pour elles. La majorité des femmes ignorent l’existence des lois qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs droits. Mais quand elles connaissent leurs droits, elles ont peur de remettre en cause les règles sociales. Oui, il y a aussi cette peur là. Sinon, moi personnellement, je vais vous parler de mon expérience. A Kindia, moi je n’ai pas acheté de terre, mais plutôt j’ai baillé. J’ai en plus acheté la terre près de la route de Tanènè en allant vers Boffa. Mais lorsque je viens à Kindia pour l’achat d’un terrain, auparavant, on me disait toujours : « Si tu ne viens pas avec ton mari, on ne pourra pas te vendre le terrain ». Donc avec ces propos, j’ai dit écoutez : « Si je veux acheter, je n’impliquerai pas mon mari, il faudrait que vous me fassiez confiance et que vous me vendiez le terrain ». Au fur et à mesure, j’ai finalement abandonné l’idée d’acheter. J’ai plutôt baillé. Il y a encore des femmes qui se plaignent d’ailleurs à la coopérative. Vous savez, il y a les bas-fonds et il y a les coteaux. Ce sont les hommes qui vous dictent où vous pouvez travailler pendant la saison sèche, où est-ce que vous allez travailler pendant la saison pluvieuse. Je me rappelle qu’une fois, une femme a perdu ses persil, à cause de l’endroit qu’on a choisi pour elle pour travailler pendant cette saison pluvieuse. Malheureusement, la pluie avait fait de gros dégâts, et elle a perdu presque toute sa récolte. C’est pour vous dire qu’il y a encore beaucoup à faire par rapport au droit foncier des femmes en Guinée.
Cela veut dire que l’équité homme-femme a encore du chemin à faire en Guinée, particulièrement dans le secteur agricole où pour investir, il faut avoir des terres…
Evidemment, Madame ! Et pour terminer, j’aimerais ajouter que l’agriculture est la principale source de revenu de 80% de la population pauvre dans le monde. Donc, ce secteur joue un rôle déterminant dans la réduction de la pauvreté, la hausse des revenus et l’amélioration de la sécurité alimentaire en Guinée. Il faudrait qu’on pense à l’agriculture, elle va nous permettre de limiter l’exode rural et beaucoup de problèmes socioculturels.
Asmaou Barry et Baïlo Diallo