Pour des raisons politico-ethniques ou pour des questions d’intérêt, quand vous dénoncez une malversation financière, c’est vous qui êtes le diable. Pour les mêmes raisons, quand vous dénoncez une injustice, un cas de violation des droits de l’homme, c’est vous qui êtes le démon.
Quand vous attirez l’attention sur des délits économiques ou financiers, vous êtes un jaloux, un envieux. On dit que si vous étiez dans la même position, vous feriez la même chose.
Avec une telle mentalité, les notions de bonne gouvernance ou de gouvernance vertueuse continueront à être vides de sens. Les belles formules comme «gouverner autrement» et les actes qui les accompagnent resteront lettres mortes.
Dans notre société, ils ne sont pas nombreux ceux qui prennent le risque de dénoncer un fait ou un acte répréhensible ou de témoigner contre l’auteur d’un tel fait ou acte. Car nul ne veut être considéré par les proches et amis d’une personne dénoncée comme «la cause de son malheur.» Si en plus, on risque de se faire «lyncher» dans les médias par une meute de soutiens pour avoir dénoncé «le bienfaiteur», on finit par faire comme les trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. En fin de compte, on n’a plus qu’un souci : prendre sa part et se taire comme tout le monde en se disant, pour soulager sa conscience, qu’on ne peut pas combattre seul des pratiques profondément enracinées dans notre société. Ainsi, peu à peu, se développent toutes les formes d’atteintes à la chose publique et tous les autres travers.
D’ailleurs, les plus malins s’arrangent toujours à faire quelques largesses à l’endroit de notables, de religieux, de groupes de femmes et de jeunes pour s’assurer leur soutien au cas où ils seraient épinglés par des enquêtes judiciaires ou administratives. C’est l’une des raisons pour lesquelles les infractions économiques ne sont que très rarement punies dans notre pays, car les procédures y afférentes ne vont presque jamais jusqu’au bout. Et ces actes antivaleurs ne risquent pas de disparaître facilement et de sitôt, car ils reflètent une certaine mentalité bien établie. Ce sont des pratiques qui sont tolérées et voire encouragées dans une certaine mesure par notre société. Très malheureusement. Pour vaincre ce phénomène, il faut une réelle volonté politique et surtout le courage de déplaire quand il devient nécessaire de prendre des décisions impopulaires.
Me Mohamed Traoré,
Ancien bâtonnier