Alors que le journaliste camerounais est détenu sans avoir été jugé depuis 5 ans et que son procès vient d’être à nouveau renvoyé, Reporters sans frontières (RSF) dénonce la poursuite d’une infernale cabale judiciaire contre l’ancien DG de la CRTV.
Un triste anniversaire pour le journalisme et un énième renvoi pour Amadou Vamoulké. Ce lundi 26 juillet, 5 ans jour pour jour après l’arrestation de l’ancien directeur général de la radio-télévision publique camerounaise (CRTV), son procès a fait l’objet d’un 74e renvoi. Le journaliste est accusé d’avoir détourné plusieurs millions d’euros du trésor public pour le compte de la chaîne qu’il a dirigée entre 2005 et 2016. Des accusations qui ne reposent sur aucun élément sérieux.
Après 5 ans d’audiences, le procès tourne en rond et le seul témoin présenté par l’accusation, un expert-comptable, a été largement discrédité par les avocats du journaliste camerounais : absence de consultation de cabinets concurrents, facturation exorbitante, délais de réalisation record, création d’une ligne comptable fictive pour incriminer Amadou Vamoulké, mise en liquidation judiciaire de ses sociétés d’expertise comptable installées en France pour «insuffisance d’actifs»… En 2018, alors que Amadou Vamoulké est déjà emprisonné, son cabinet finira même par être révoqué pour «non-respect des règles déontologiques» par le conseil d’administration de la CRTV lui-même. Comble du montage hasardeux pour matérialiser les accusations portées contre Amadou Vamoulké relevé par les conseils du journaliste, le ministère des Finances qui fait partie du conseil d’administration de la CRTV ayant dénoncé le rapport d’audit de cet expert et mis fin à la relation avec son cabinet, s’est porté partie civile dans la procédure entamée contre Amadou Vamoulké. Un ministère des Finances, soulignent les avocats du journaliste, pour lequel l’expert comptable prétend également travailler régulièrement «dans un mélange des genres fort malsain».
«Plus ce procès avance, plus les révélations sur son absence totale de fondement se multiplient, plus il s’enlise, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF Arnaud Froger. La détention de ce journaliste n’a plus rien de provisoire. Après 5 années passées pour rien derrière les barreaux, Amadou Vamoulké a, de fait, déjà été condamné sans même avoir été jugé. Cette cabale judiciaire infernale est ignoble. Elle jette aussi l’opprobre sur toute l’institution judiciaire camerounaise et les plus hautes autorités politiques du pays qui n’ont rien fait pour y mettre fin.»
Le procès d’Amadou Vamoulké se tient en dehors de toute base légale. Le Code pénal camerounais prévoit un délai maximal de 18 mois pour juger un prévenu tandis que la loi portant création du Tribunal criminel spécial précise que qu’il doit statuer dans les 9 mois. Saisi en 2019 par RSF, le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire avaient rendu en juin dernier des conclusions sans appel sur cette affaire, soulignant que les violations du droit à un procès équitable «sont d’une gravité telle qu’elles confèrent à la détention de M. Vamoulké un caractère arbitraire.» Le groupe d’experts avait appelé à la libération du journaliste, s’était déclaré “profondément préoccupé” par la «gravité de l’état» de santé de ce dernier.
À l’acharnement judiciaire, s’est en effet ajouté une mise en danger continue de la santé du journaliste pendant toute sa détention. Diagnostiqué comme étant atteint d’une neuropathie il y a deux ans, le journaliste n’a jamais pu réaliser les examens et les soins appropriés. En pleine pandémie de Covid-19, alors que le journaliste est âgé de 71 ans, malade, et que plusieurs de ses co-détenus ont été contaminés par le virus, il n’a pas bénéficié d’une remise en liberté provisoire.
Le Cameroun a reculé d’une place et occupe désormais la 135e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2021.
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