Elle hante encore nos souvenirs de collège, la fameuse tirade de Corneille : « Rodrigue, as-tu du cœur ?…» Dans ce sens-là, cœur signifie force, courage, témérité. Moi, c’est dans l’autre sens du mot que je voudrais interpeller notre « président-professeur », celui de la bonté, de la fibre, de l’affect, si jamais, la cruauté de son système ne lui a pas enlevé le peu d’humanisme qui lui reste. Et cela tombe bien puisque je voudrais demander à celui qui se donne droit de vie et de mort sur le peuple guinéen (qu’il a tendance à prendre pour son cheptel), de poursuivre ce qu’il a très timidement commencé, à savoir la libération des centaines d’innocents qui croupissent dans ses geôles puantes infestées de chenilles et de rats.
Sans jeu de mot, je commencerai par citer Bogola Haba qui, justement, a de sérieux problèmes de cœur. Alpha Condé et ses sinistres geôliers n’ignorent pas qu’il a subi deux interventions chirurgicales avant de prendre la place toute chaude d’Ousmane Gaoual à l’Hôtel Cinq Etoiles de Coronthie. (D’ailleurs, à peine installé sur son pucier, qu’il est conduit à Ignace Deen !) Comme ils n’ignorent rien de l’état physique et mental désastreux dans lequel Ousmane Gaoual, Chérif Bah, Cellou Baldé, Abdoulaye Bah et les autres ont miraculeusement échappé au « cachot du désespoir » pour reprendre le beau mot de Césaire. Aujourd’hui, accablés de coliques et de courbatures, mal- voyants, et demi- sourds, ils étaient comme vous et moi, débordants de santé le jour où la flicaille de notre « fama » est tombée sur eux.
Mon dieu, dans quel état nous rendront-ils Bogola Haba, si jamais ils nous le rendent ? La Guinée pleure encore Roger Bamba et Thierno Ibrahima Sow et vu, la noirceur de cœur de ceux qui nous gouvernent, elle doit se préparer à pleurer d’autres valeureux fils du pays, d’autres martyrs de la cause sacrée. Que le Dieu Tout-Puissant épargne Bogola Haba de la monstruosité ambiante, qu’Il l’aide à retrouver sain et sauf sa famille et son peuple !
Qu’il en soit de même pour Etienne Soropogui, Foniké Mengué, Ismaël Condé, l’imam de Wanindara et les autres ! Et ils sont nombreux, très nombreux, les autres ! 52, rien que ceux qui sont associés au dossier Ousmane Gaoual et compagnie ! 52, rien qu’à Conakry ! Je ne parle pas de ceux qui gigotent dans les sinistres oubliettes de Kankan, N’Zérékoré, Boké et ailleurs. Ils sont comme ça, les chefs d’Etat africains, enclins à multiplier les prisons et à négliger les ponts et les routes, les écoles et les hôpitaux ! Pour eux, c’est cela l’autorité, c’est cela la grandeur, c’est cela le prestige d’un chef bien né.
Aujourd’hui, qu’il a tous les pouvoirs dans les mains, tout l’or et tout le diamant du pays dans les poches, Alpha Condé oublie qu’il n’était hier qu’un misérable taulard et que sans le soutien massif des démocrates du monde entier (j’en fus !), il aurait peut-être crevé dans sa cellule. Enfermé dans sa tour d’ivoire, entouré de ses griots et de ses laquais, il reste sourd aussi bien aux gémissements de ses victimes qu’aux supplications des organisations humanitaires.
Dieu n’aime pas ça, Alpha ! Il nous a tous muni d’un cœur pour donner aux pauvres, secourir la veuve et l’orphelin et surtout, surtout, pour épargner les innocents.
Libère tes prisonniers politiques (oui, oui, politiques !). Ils n’ont ni fabriqué des armes, ni assassiné quelqu’un, ni détruit des biens publics, ni appelé à l’insurrection, ni atteint aux intérêts supérieurs de la nation, tu le sais bien. Ils sont aussi innocents que Jésus sur le chemin du Calvaire. Et tu es le seul unique responsable de leurs malheurs. Ne joue pas les Ponce Pilate, Alpha ! Allez, libère-les, libère-les tous, sans délai et sans condition !
N’aie pas peur d’être juste ! N’aie pas honte d’être humain !
Tierno Monénembo