Le suaire du Christ, la dent de Lumumba ! Le lien peut surprendre, voire choquer. Pourtant, il n’est pas si osé que cela.

Patrice Emery Lumumba avait quelque chose de christique : un destin moulé dans le calvaire et dans la magnificence, un être habité par la grâce ! Sur cette célèbre photo où on le voit en chemise blanche, les mains entravées au dos, à côté d’un de ses compagnons d’infortune (Joseph Okito ou peut-être Maurice Mpolo), on lit sur son visage qu’il s’attendait à cela, qu’il y était préparé depuis le berceau, préparé aussi bien par le mental que par les gènes. Cet inoubliable visage, ce visage serein, empreint de ferveur, ce visage pur, touché par la clarté de l’absolu, devait ressembler à celui de Jésus sur le chemin du Golgotha. Pour moi, cela n’a rien d’étonnant que les deux soient morts presque au même âge. L’un est le martyr de la chrétienté, l’autre celui de l’Afrique.

Né pour embrasser l’histoire

Lumumba est un héros continental. Il n’appartient ni à sa famille, ni à sa tribu, ni à son pays. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, rares sont les pays où son nom ne figure pas à l’angle des rues ou au fronton des édifices. Une des plus longues avenues de Rabat s’appelle Patrice-Lumumba. C’est dire ! Lumumba n’est pas né pour embrasser la carrière politique, il est né pour embrasser l’Histoire. Ce fut un enfant prodige venu sur la terre d’Afrique pour réorganiser l’Afrique, à l’instar d’El-Hadj Omar qui disait : « Je suis venu au monde pour réorganiser le monde.»

Un élu du destin

Ce n’était pas un simple politicard, je vous dis. C’était un élu du destin. Un messie ! C’est une règle d’or chez les messies que d’achever leur mission dans le supplice quand celui-ci est porté à son incandescence. Ce supplice-là fait penser au feu funéraire des hindous : il délivre l’esprit de la gangue charnelle, il sanctifie.

Saint monsieur Lumumba ! Mort jeune, après soixante-sept jours seulement de pouvoir, il est parti, les mains propres. Il n’a pas eu le temps de mentir ou de voler, de tuer ou d’incarcérer. Sa place est unique dans notre histoire contemporaine, peuplée de rustres et maculée de sang ; unique, je veux dire élevée, je veux dire difficile d’accès, je veux dire rare (un fauteuil en diamants !). Seuls Cabral et Mandela pourraient la lui disputer.

Indissoluble au propre comme au figuré

Il y a deux ans et demi, un ami m’a montré à Lubumbashi la petite maison où ses bourreaux l’ont accueilli, ou plutôt ont pris possession du « colis », pour user du langage propre aux gens du « milieu ». (On imagine les séances de torture et les gestes d’humiliation, les crachats au visage et les mots qui saignent le cœur.) Il m’a ensuite conduit à l’endroit où, paraît-il, le premier Premier ministre du Congo et ses deux plus proches collaborateurs, Joseph Okito et Maurice Mpolo, ont été exécutés.

C’est là, sans doute, pendant qu’ils faisaient leur sale besogne, que les scélérats ont pris conscience de sa forte personnalité, de son charisme exceptionnel et de la noblesse de ses idéaux. D’où leur acharnement à le martyriser, à le faire disparaître du regard de ses enfants et de la mémoire des hommes. Mais aucun acide – fût-il nitrique et fortement titré – ne peut dissoudre le nom de Lumumba.

Immortel

Cette dent sacrée, cette dent qui a refusé de mourir, atteste de son immortalité. Elle représente un éternel pied de nez adressé à ses meurtriers. Ce totem ne doit revenir à personne en particulier, il doit revenir à nous tous. L’État congolais doit ériger, et vite, un mausolée pour l’abriter. Un mausolée où tous les Africains viendraient se recueillir de la même manière que les pèlerins s’inclinent sur la tombe de leur saint.

Tierno Monénembo

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