La prison censée être un centre de punition et de redressement, est devenue en Guinée, un véritable mouroir. Les infrastructures non adaptées aux normes côtoient un traitement nutritionnel qui laisse à désirer. Le système judiciaire fait face à des difficultés énormes. Nous avons tenté de comprendre la gouvernance du système carcéral du bled. Cet article complète celui paru dans Le Lynx N°1496 du lundi, 14 décembre 2020, à la page 17. Il est le dernier de la série des 7 articles que le satirique a réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa), comprendre : Initiative des sociétés ouvertes en Afrique de l’Ouest.
Un rapport des Nations unies aux droits de l’Homme de 2019 explique que la corruption, l’insuffisance de formation des magistrats et auxiliaires de justice, la lenteur des procédures judiciaires, les difficultés d’exécution des décisions de justice, l’insuffisance des budgets de fonctionnement, excusez du peu, sont des barrières judiciaires. Ces tares s’ajoutent à un faible budget accordé au département de la Justice.
Dans la Loi des Finances initiale 2021, rubrique (Détails budget ministères et institutions) le ministère de la Justice est doté de 162 milliards 73 millions 19 mille francs glissants et les établissements pénitentiaires de 21 milliards 434 millions 759 mille francs guinéens au total, destinés à l’alimentation au sein des établissements pénitentiaires.Dans le doc, ils sont neuf établissements. Pourtant, selon le rapport des Nations unies sur les droits de l’Homme de 2019, la Guinée compte en tout : huit Maisons centrales dont cinq du ressort de Conakry et trois relevant de Kankan, plus 23 prisons civiles dont 13 au compte de Conakry et 10 du ressort de Kankan. Soit 31 établissements pénitentiaires.
Du flou et des filous autour de la caisse
Comment l’État, notamment le ministère de la Justice gère l’argent qui sert à l’entretien des prisonniers ? Pour la réponse à cette question, nous avons contacté le Régisseur de la Maison centrale de Conakry, sise à Coronthie. Il le voudrait bien, mais il ne peut pas «parler sans l’accord de sa hiérarchie». «Monsieur le journaliste, adressez-vous à la Direction de l’administration pénitentiaire qui est ma hiérarchie. Mais, je vous préviens que nous ne gérons pas les rumeurs. Nous entendons beaucoup de choses, mais ce n’est pas conforme à la réalité». Nous avons tenté en vain d’avoir le ministère de la Justice. Le 7 septembre 2020, à sa demande, nous lui en avions fait requête. Rien ! Récemment, le chargé de Com du département, un certain Sékou Kéïta, nous a feinté : « J’étais en congé, je reprends service dans dix jours. »
Ça fuite que la misère de 21 milliards 434 millions 759 mille francs guinéens allouée aux établissements pénitentiaires est la vache laitière des ministres et certains cadres (en bois) qui se succèdent au département de la Fustige. Et trinquent les services de l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. Nombre de taulards se plaignent, jusqu’aux ONGs humanitaires qui déplorent la mauvaise qualité de la bouffe et des soins médicaux dans les geôles. Qu’en dit le département ? Les revenez demain ne manquent pas.
Des détenus se prennent en charge
Les bagnards ont décidé de prendre en charge leur ordinaire par les cornes. La plupart se font porter la graille par la famille.
Cet ancien détenu que nous appelons Michel témoigne de ses deux ans à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. « Nous avons été arrêtés pendant les manifestations politiques. Nous avons fait plusieurs mois sans être jugés. Nos avocats ont beaucoup fait pour que nous soyons jugés, ensuite nous avons été libérés. A la Maison centrale, on prépare à manger pour les prisonniers, mais on ne peut pas manger. Il y a trop de sel et puis ce n’est pas mangeable. Généralement, c’est la même sauce : soupe. Moi, je ne mangeais que la nourriture que mes parents m’envoyaient. Ils se déplaçaient tous les jours de Wanindara à Kaloum. Vous imaginez la distance et la difficulté de transport : 18 000 Gnf aller-retour et presque tous les jours pendant mes deux ans en prison. Le marché guinéen étant cher, la dépense pouvait coûter jusqu’à 30 000 Gnf par jour, voire plus, c’est selon les jours. Les rares fois qu’on met de la viande ou du poisson, la dépense double. Quelques fois, on m’envoyait 50 000 ou 100 000 francs guinéens je m’achète à manger, avec cela leur permettait de diminuer le déplacement ».
La survie en prison, son coût en espèces sonnantes et trébuchantes et souvent en coups de poing. A la Maison centrale règne la loi de la jungle. Pour avoir un confort relatif, il faut graisser la patte au grand maton. «A la fin de chaque mois, nous payions le loyer 10 000 fg pour la maison, et pour la télévision, 5 000 fg, soit 15 000 francs guinéens. C’est obligatoire, parce qu’il y a les chefs de cale qui le réclament. Il y a des parties à la Maison centrale, on paye jusqu’à 55 000 Fg par mois, avec l’électricité. En tout cas, pour rester dans de bonnes conditions en prison, tu peux payer 200 000 fg ou plus. J’ai vu là-bas un jeune qui a fait plus de 10 ans, il n’a pas été jugé encore. De nombreuses personnes sont en prison sans jugement. Celui qui mange là-bas, il va forcément tomber malade», raconte un ancien prisonnier.
«Cela fait 7 mois que mon mari est en prison, c’est seulement ce que nous lui envoyons qu’il mange, il nous dit que la nourriture de la Maison centrale n’est pas du tout consommable, c’est trop salé. Nous lui envoyons le petit-déjeuner, nous lui préparons du riz pour le déjeuner. Il est difficile de dire ce que nous dépensons, mais du transport à la nourriture, on peut dépenser jusqu’à 100 000 des fois, par jour. Quelquefois, on lui donne 50 000 Fg pour ses petits besoins, cela, c’est pour une seule personne. Sans compter que deux de mes enfants, mes deux frères sont en prison, arrêtés lors des violences post-électorales à la Cimenterie. Nous finançons la nourriture de chacun en prison. Si vous prenez 150 000 Fg pour chacun, vous voyez que cela peut nous coûter», a témoigné l’épouse d’un prisonnier de l’Hôtel 5 étoiles de Coronthie en mars dernier.
Un sexagénaire a passé 7 mois à l’Hôtel 5 étoiles de Coronthie, il ne pouvait pas manger ce qu’on lui donnait, nous a-t-il dit. Son épouse, chaque jour, du quartier « Cimenterie » lui portait la bouffe. L’aller-retour lui coûtait pas moins de 30 000 Gnf. Et il fallait casquer pour laisser passer, intact le repas. Les matons ont les crocs. Holà-là !
Ibn Adama