Depuis le 18 octobre 2020, la Guinée est en trêve électorale. Cela après dix ans de péripéties. De 2010 à 2020, toutes les crises politiques étaient liées à l’organisation soit des élections présidentielles (2010, 2015 et 2020), soit des légis-tardives (2013 et 2020) et locales ou communales (2018). Le fait-chier électoral était le nœud gordien de toutes ces crises. La Guinée était devenue un bled des sélections électorales. Le Chaud-NDD version El Dadis et le Chaud-NDD version El TIgre Konaté ont fait rater la transition dans le bled.
C’est connu de tout le monde: les législatives du 22 mars 2020 et la pestilentielle du 18 octobre 2020 ont été organisées, comme toutes les précédentes, avec un fichier électoral truffé de toutes les impuretés électorales (mineurs, doublons, décédés, mauvaise cartographie des BV, excusez du peu !) Sagem, Waymark, Gemalto et Innovatrics sont passés par là. Souvent, le temps imparti à l’établissement du fichier est la cause de ces impuretés électorales. La CENI, ce machin qui organise ces élections électorales en Guinée, n’a jamais respecté l’article 17 du Code électoral qui stipule : «La période de révision des listes électorales est fixée du 1er octobre au 31 décembre de chaque année». De tout temps, elle a utilisé l’article 18 du même code qui dit : «En cas d’établissement ou de révision, à titre exceptionnel, des listes électorales, les dates d’ouverture et de clôture de la période d’établissement ou de révision sont fixées par décision du Président de la CENI, dans un délai raisonnable, avant la convocation du corps électoral par le Président de la République». Sauf que le «délai raisonnable» n’a jamais fait le consensus au sein de la classe politique. Le délai est souvent court et ne permet pas d’établir ou de réviser et corriger le fichier électoral. Parce qu’on veut aller vite aux élections.
Jusqu’en 2023, on ne parlera pas d’élections en Guinée, soit trois ans de trêve. Cela peut amener les Guinéens à se demander qu’est-ce que leur fameuse CENI fera entre temps ! En principe, la CENI devrait mettre à profit cette période calme ou non électorale pour faire une révision ordinaire du fichier électoral dont on a tant fait parler hors de nos frontières. La CEDEAO et l’OIF, vous êtes là ? Depuis la publication des résultats provisoires de la présidentielle du 18 octobre 2020, la CENI est inactive. Malheureusement aujourd’hui, on ne peut pas avoir d’informations sur ce que fait l’institution électorale. Son site web est inaccessible. Peut-être que c’est la connexion ! Désormais, il faut aller à la page officielle Facebook du président de la CENI, Kabinet Cissé, pour savoir l’actualité de l’institution. On y voit qu’au début de ce mois de juillet, le patron de la CENI a pris part, avec ses homologues des pays de la CEDEAO (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria, Mali, Sénégal et Togo) au séminaire international d’échange d’expériences sur la gestion d’un organe de gestion des élections (OGE) à Niamey au Niger. Même qu’il a exposé, sur le cas guinéen, l’assainissement du fichier électoral, à travers l’acquisition et l’utilisation du logiciel biométrique «SOLUTION DIAMA» dont la licence est la propriété de l’État guinéen. Si l’acquisition du logiciel «SOLUTION DIAMA» est appréciable et nous met à l’abri des désidératas des opérateurs internationaux, l’assainissement du fichier électoral laisse à désirer. La Guinée a réglé la question de son indépendance vis-à-vis des sociétés de biométrie étrangère, mais le seul bémol est que le fichier électoral est toujours truffé de mineurs, de doublons, de décédés. La dernière activité de la CENI est l’atelier modulaire BRIDGE qui s’est tenu du 13 au 16 juillet sur le thème : «Prévention des conflits électoraux et gestion des contentieux électoraux». L’initiative même est d’IFES (Fondation international des systèmes électoraux) avec l’appui financier de l’USAID.
Apparemment, notre CENI est en train de se ronger les ongles. On apprend qu’elle n’a pas pu tirer les leçons lors d’ateliers (communément appelés dans leur jargon: ateliers de capitalisation) des deux dernières élections. Dès après l’obtention de son troisième mandat, dit-on, le Président Alpha Condé a fermé le robinet du budget de l’institution électorale. Et puisque la Guinée a organisé ses élections sur fonds propres, la CENI ne peut plus demander d’appui extérieur pour tirer les leçons de l’organisation de ces élections. La première étape pour prévenir les conflits électoraux, c’est l’établissement d’un bon fait-chier électoral. Car toutes les contestations partent de là. C’est une évidence. Les ateliers et séminaires sont bons, mais un bon fichier est un passage obligé pour prévenir les conflits électoraux.
Puisqu’en Guinée, c’est l’ère de la biométrisation (passeport, extrait d’acte de naissance, de mariage, de décès, carte d’identité nationale, permis de conduire, carte grise), la CENI, qui est la première à utiliser ce lexique, devrait établir un bon fichier électoral afin qu’au bout du processus qu’il soit synchronisé avec le fichier de l’état civil. Mais avec l’accalmie instaurée par la pandémie de la COVID-19 et surtout par la répression des opposants, il ne faut pas rêver que le Président Alpha Condé donne son quitus, encore moins l’argent, à la CENI pour faire, la première fois, une révision ordinaire du fichier électoral. Parce qu’elle a des implications politiques, notamment la participation des partis politiques à cette opération. Or, il a décidé d’en finir avec tous les partis aux accents discordants de ceux du Rpg-arc-en-ciel. Le bruit d’une telle opération va forcément tiéder les ardeurs des «investisseurs» qui auraient pris la destination Guinée, parce que c’est un pays en «paix» et que «le train du développement a bougé». Tant pis pour les opposants que le train a laissés au quai.
Abdoulaye S. Camara