Depuis septembre 2020, le Prési Alpha Grimpeur, en quête d’un controversé et inconstitutionnel troisième mandat, a unilatéralement fermé la frontière avec le voisin sénégalais pour «des raisons sécuritaires». Toutefois, pour des raisons pécuniaires, celle-ci demeure ouverte aux voyageurs qui savent ouvrir leur porte-monnaie. Les autorités préfectorales de Koundara s’avouent impuissantes à stopper la contrebande. Enquête.
A la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2020, la Guinée a officiellement fermé ses frontières avec les pays limitrophes comme le Sénégal, pour, officiellement, «des raisons de sécurité». Les habitants de Koundara, ville frontalière, ressentent l’impact de cette fermeture en termes de cherté de la vie. Le trafic des véhicules vers le Sénégal est complètement interrompu. Sambaïlo, poste frontalier situé à 13 km du centre-ville de Koundara, qui grouillait habituellement de monde, est aujourd’hui désert. Voilà près d’un an qu’aucun véhicule ne se hasarde à y aller. Deux camions en piteux état sont stationnés à la sortie de la ville vers le Sénégal depuis l’annonce de la fermeture de la frontière en septembre 2020.
Aubaine pour les taxis motos et les forces de l’ordre
Si les véhicules ne franchissent pas la frontière, les piétons la traversent à longueur de journée pour aller au Sénégal et revenir. Et même des marchandises sont transportées à l’aller comme au retour. Comment se passe le trafic ? Cette fermeture de frontière enrichit les taxis motos, les farces de défense et de sécu et d’autres personnes qui rodent autour de la gare routière. Dès qu’un passager se pointe, des rabatteurs accourent, lui demandent sa destination et le briefent sur le processus du voyage. Pour se rendre au Sénégal, la traversée de la frontière se fait inéluctablement par taxi-moto. Les prix oscillent autour de 150 000 francs glissants, selon que vous avez des bagages ou non. S’y ajoutent des frais à payer au niveau de trois barrages : 50 000 francs glissants au niveau de chacun des deux premiers et 85 000 francs glissants au troisième et dernier. Ces trois barrage se trouvent en territoire guinéen, sur une distance de 50 Km, entre Koundara (Guinée) et Thibir (Sénégal), le point de rencontre : c’est là que les taxis-motos en provenance de la Guinée et les véhicules qui viennent du Sénégal s’arrêtent et échangent voyageurs et marchandises. Côté sénégalais également, pour franchir le premier barrage, il faut payer 5000 Fcfa. En tout, le passager doit casquer 12000 F CFA pour atteindre la frontière Linkérin, située à 70 Km de Koundara.
« Le règlement, c’est 50 000 FG ! »
Départ de Koundara en direction de la frontière. La première déviation commence à la sortie de la ville. Là, les motos contournent la douane, rentrent dans le quartier et parcourent environ 1 km pour retrouver la voie publique. A Sambaïlo, ils contournent le barrage à 1 km, parcourent environ 15 km avant d’arriver au barrage de Wousson tenu par les farces de défense et de sécu, où il faut se saigner pour passer. Il n’y a pas négociation possible. «C’est 50 000 FG ! Si tu ne paies pas, je retourne m’asseoir. Ici ce n’est pas le marché, ce n’est pas moi qui fixe le prix. C’est comme ça», martèle un bidasse. Une manière de nous dire qu’il n’y a aucun marchandage possible. Même son de cloche au barrage suivant de Sinini : «Mon frère, il n’y a pas de discussions possibles. Je ne vous mens pas, le règlement, c’est 50 000 FG !» Après insistance, le ton monte : «Eh Allah mon frère, on n’est pas au marché, le règlement dit c’est 50 000 !» Le fameux règlement non écrit sera par la suite 85 000 FG à Tchankoun Baamè, le dernier poste avant Bhoundou-Fourdou, où se trouve le cordon douanier guinéen. On s’acquitte, sans broncher. En apercevant Bhoundou-Fourdou, les taxis-motos bifurquent dans la brousse. Ils paient 5000 francs glissants aux agents des eaux et forêts, pour pouvoir ressortir sur la voie publique et rejoindre le point de rencontre sur le territoire sénégalais qu’on appelle Thibir, créé pour la circonstance.
Nouveau centre de négoce
Les marchandises en provenance du Sénégal sont déchargées là, avant d’être transportées sur des taxis-motos, généralement la nuit, pour entrer sur le territoire guinéen (Koundara). On y trouve également des véhicules et des taxis-motos pour transporter ceux qui veulent se rendre à Linkérin, point de départ pour aller à Dakar ou vers les autres villes sénégalaises. Également, de nombreuses personnes ont développé le commerce à Thibir où on trouve de la nourriture et divers articles nécessaires pour les voyageurs. Un marché florissant.
Selon de nombreux témoignages, de nombreuses personnes, notamment des fonctionnaires, des agents des forces de sécurité ont acheté des motos pour profiter du business transfrontalier. Leurs conducteurs sont organisés en équipe. Quand un commerçant contacte un taxi-moto pour transporter sa marchandise, ce dernier contacte à son tour ses amis en nombre, en fonction du volume à transporter. Les transporteurs arrivent au barrage en convoi, l’un d’eux paye pour que tout le monde passe. «Il y a des gens qui ont actuellement 10 à 15 motos ici», confie un témoin de ce trafic lucratif.
«Je ne sais pas ce qui se passe à la frontière»
Aboubacar Mbop Camara, préfet de Koundara rappelle que l’Etat a fermé la frontière entre la Guinée et le Sénégal pour des raisons de sécurité. Pour lui, la sécurité territoriale prime sur tout. A la question de savoir s’il est au courant de la traversée payante de la frontière par motos, le préfet répond : «Je sais simplement que ce sont des frontières qui n’ont pas d’obstacles naturel : il n’y a pas de fleuve, il n’y a pas de montagne. Quoi que l’on fasse, tout au long de la frontière, les fraudeurs passeront toujours par motos. La frontière sur la voie principale est fermée. Ceux qui sont à la frontière peuvent souvent prendre des décisions sans nous. Il y a des policiers, des militaires, des gendarmes et des douaniers. Nous sommes en train de travailler pour que cet état de fait s’arrête». A propos de la corruption des farces de défense et de sécu, Aboubacar Mbop Camara admet : «Je n’ai pas vu ça encore. Je n’ai aucune preuve dessus. Je ne sais pas ce qui se passe à la frontière, on ne peut pas totalement la contrôler. Elle est très longue pour qu’on puisse la surveiller de façon efficace. Mais on donne des instructions aux services de sécurité pour qu’ils fassent beaucoup plus». Face à un tel aveu d’impuissance des autorités, à quoi bon de garder la frontière fermée au nom de la sécurité intérieure ?
La vie chère à Koundara
En dépit de la mobilité clandestine des personnes et des marchandises, la vie reste toujours chère à Koundara depuis la fermeture de la frontière. Avec l’augmentation du prix du carburant, le transport revient encore plus cher. Djamilatou s’approvisionnait habituellement en marchandises au Sénégal : «Je vends du riz, de la tomate, de l’oignon, du haricot… Aujourd’hui, les prix ont fortement augmenté : le sac de haricot qui se vendait à 800 000 FG, se négocie à 1 200 000 FG. Les bouillons Maggi et les autres épices étaient achetés au Sénégal. Ils coûtent désormais cher, si on en trouve. Le paquet que nous avions l’habitude d’acheter à 10 000 FG est à 25 000 FG, voire 30 000 FG. Un sac de riz importé de 50 KG se négocie à 320 000fg, contre 345 000 FG pour la même quantité de riz local. Un bidon d’huile qui était à 250 000 FG est à 345 000 FG ; le bidon d’huile de palme est vendu à 245 000 FG au lieu de 190 000 FG avant la fermeture de la frontière». L’éloignement de Koundara de la capitale guinéenne, le mauvais état de la route sont les autres facteurs qui expliquent la flambée des prix. «La marchandise qui vient de Conakry coûte très cher, au motif que la route est fortement dégradée. Pour que les camions arrivent ici, il faut plusieurs jours».
Plaidoyer pour une vie meilleure
Au cours de notre visite du marché de Koundara, nous avons perçu un attroupement devant un dépôt de poissons frais. Avec la fête d’Achoura (début d’année musulmane), très célébrée encore dans le Fouta-Djalon, beaucoup de gens étaient allés acheter du poisson pour la circonstance. «Nous avons acheté un poisson de 2 KG à 70 000 FG. Les prix varient : le poisson qu’on achetait à 15 000 FG est maintenant à 25 000 FG. Depuis que la frontière est fermée, tout est cher chez nous ici», se plaint Mariama Diallo. Dame Marie Kébé renchérit : «Le prix du poisson a doublé. Les poissons qu’on achète à Labé pourrissent avant d’arriver ici, à cause du mauvais état de la route. Nous demandons au président de la République d’ouvrir les frontières pour que les habitants de Koundara puissent mieux vivre». A Koundara si la vie est chère pour certains, d’autres profitent de la crise pour s’enrichir.
Ibn Adama
Envoyé spatial