Le port du voile est souvent vu par certains musulmans qui se réclament modérés et/ou non aliénés, comme une importation voire une imposition culturelle, c’est-à-dire qu’ils considèrent le port du voile comme une pratique culturelle venue d’ailleurs telle que d’Arabie-Saoudite et/ou d’Afghanistan. Et d’autres l’y voient comme l’expression d’un acte politique notamment en Europe en général et en France en particulier sans parler des  féministes qui le considèrent comme un assujettissement de la femme voire une dégradation de la condition féminine.

Cependant, il faut signaler qu’également certains intellectuels de confession musulmane notamment peuls, le considèrent aussi non seulement comme un acte politique, mais aussi comme une pratique islamique archaïque (ancienne et dépassée) qui relèverait d’une interprétation littéraliste du Coran qui ne sied pas à la modernité.

Et pourtant, il suffit juste de parcourir le verset 31 de la sourate An-nour (La lumière) et le verset 59 de la sourate Al-Ahzâb (Les coalisés) pour s’en rendre compte que c’est une prescription divine qui ne doit souffrir d’aucune contestation chez le croyant et la croyante en tous cas. Par ailleurs, l’objet de ma démarche n’est pas de prouver la législation islamique qui régit ce mode vestimentaire féminin, mais plutôt de prouver sa justification linguistique chez les Peuls de Guinée-Conakry (Fouta Djalò) pour que chacun de ces Peuls s’en rende compte que le port du voile n’est pas une pratique nouvelle qui serait une particularité des musulmanes sunnites caricaturalement appelées en Guinée,  » Wahhabites « .

D’entrée de jeu, je précise que je ne prétends être ni anthropologue (ethnologue), ni sociologue et encore moins linguiste. Je me permets juste de constater une pratique qui aurait une relation avec la langue qui est la mienne, c’est-à-dire le pular (fulfulde comme le diraient certains). Du coup, les anthropologues (ethnologues), sociologues et linguistes nous aideront à comprendre davantage l’existence de cette corrélation entre pratique religieuse et langue (pular).

Le port du voile comme moyen de désignation de la femme chez les Peuls du Fouta Djalon :

Dans la langue peule, la femme est désignée de plusieurs manières. Souvent, son appellation renvoie à une de ses caractéristiques féminines. En effet, je vais énumérer les différents noms (singulier et pluriel) qui la désignent.

Les noms (singulier/pluriel) désignant la femme :

Debbo (singulier) > Rewɓe (pluriel), Jiwo (singulier) > Jiwɓe (pluriel), Suddiiɗo (singulier) > Suddiiɓe (pluriel), Sunnajo (singulier) > Sunŋaɓe (pluriel) = Femme-s.

Après avoir énuméré les différents noms qui désignent la femme chez les Peuls du Fouta Djalon » (Guinée-Conakry), je vais m’intéresser aux différents noms qui désignent le voile et les autres noms qui lui sont synonymes.

Les noms (singulier/pluriel) désignant le voile (foulard et/ou écharpe) et la couverture (couette):

Tiggaare (singulier) > Tiggaaje (pluriel) = voile-s, Disaare (singulier) > Disaaje (pluriel) = turban-s ; Waanaare (singulier) > Waanaaje (pluriel) = écharpe-s ; Suddaare (singulier) > Suddaaje (pluriel) = couverture-s/couette-s.

NB : Tikkawol (singulier) > Tikkaaji (pluriel) désignent le petit foulard que les femmes mettent souvent sous le grand voile pour cacher leurs cheveux ! Et Mojagol signifie se couvrir juste au niveau des épaules avec une écharpe, un pagne ou avec tout autre chose !

Dans le catalogue de noms désignant la femme que j’ai donné précédemment, je vais m’intéresser juste à un seul nom à partir duquel, je vais construire ma démarche pour justifier le port du voile (intégral) dans la langue peule du Fouta Djalon et c’est le nom Suddiiɗo (singulier) > Suddiiɓe (pluriel) en l’occurrence.

En effet, le terme Suddiiɗo (singulier) signifie une  » femme couverte « . Son origine vient de Suddaare (couverture/couette) et le verbe se couvrir/couvrir en pular (peul) est : suddagol pour le premier et suddougol pour le second. Par exemple, quand on dit couvrir le corps (ɓandudun), on emploie suddugol, et si on veut dire qu’on s’est couvert par la couette (souddaare nden), on emploie suddagol. Cependant, on peut utiliser le verbe  » suddagol  » même si la tête n’est pas couverte et il est aussi valable quand on se couvre complètement y compris la tête. Par exemple, couvrir le cadavre (suddougol fure on).

Maintenant, je reviens à ma démonstration qui est celle de prouver que le port du voile (intégral) n’est pas une nouveauté chez les Peuls de Guinée-Conakry (Fouta Djalon). Par ailleurs, est-ce que l’usage de ce terme  » Suddiiɗo « (singulier) pour désigner la femme est anodin chez les Peuls ? Je ne pense pas. Donc, je vais vous dire le pourquoi. Les Peuls étant fortement influencés par la religion musulmane, on a souvent tendance à confondre certaines pratiques islamiques tels que : manger avec la main droite, céder la place à une personne âgée (je ne saurais dire si cette pratique existait chez les Peuls avant leur islamisation), etc. à la culture peule tellement que celles-ci sont ancrées dans celle-là et intériorisées par les sujets, donc, elles s’inscrivent dans l’habitus comme le disait P. Bourdieu. Alors l’usage de ce terme  » suddiiɗo  » pour désigner la femme s’inscrit dans le même registre. Les Peuls d’alors croient (conviction) que la femme ne doit pas exposer son corps et par conséquent, elles [femmes] doivent couvrir leurs corps d’où l’appellation « suddiiɗo » qui veut dire une « femme couverte ». Mais la femme est couverte par quoi ? Le voile, car ce n’est pas parce que les hommes (érudits et sages) se couvrent la tête par un turban (disaare) et que les hommes couvrent leurs corps, qu’ils sont pour autant appelés « suddiiɓe ». Et le terme désigne effectivement la couverture de la tête, car comme précisé plus haut se couvrir avec une écharpe, un pagne, etc. signifie Waanagol et/ou mojagol et que taarugol (mettre un foulard sur sa tête) ne signifie pas suddagol (se couvrir) !

Ou peut-être que ce terme viendrait d’un des rituels du mariage chez les Peuls qui consiste à couvrir la femme d’un tissu blanc au moment où les tantes paternelles de la mariée s’apprêtent à l’accompagner à la famille de son mari ? Je ne pense pas, car à cette occasion, on ne parle que de « jomba » (mariée) et si c’était la raison pour laquelle le terme « suddiiɗo » est employé, il ne servirait plus pour désigner la femme. Donc, après le mariage, on aurait utilisé l’un des autres noms pour désigner la femme mariée. D’ailleurs, je souligne que ce nom est commun à toutes les femmes (jeunes et vieilles) pas qu’aux mariées !

Et pour mieux comprendre cela, il suffit d’aller dans les villages les plus reculés du Fouta Djalon, vous verrez comment les vieilles femmes s’habillent. Leurs corps sont complètement couverts (sauf les visages, les mains et les pieds).

A la lumière de tout ce qui précède, mise à part la prescription divine, le port du voile (intégral) est une pratique religieuse qui est confirmée par l’existence d’un vocable peul signifiant  » femme couverte » et utilisé pour désigner la femme. Par conséquent, l’existence du terme  » suddiiɗo » en langue peule n’est pas une nouveauté qui serait une innovation des Sunnites caricaturalement appelés en Guinée  » Wahhabites ». A moins que les ethnologues et linguistes nous disent que le terme « suddiiɗo » est nouveau dans le vocabulaire peul, donc, qu’il date des années 70-80. Et si la modernité consiste à pousser nos sœurs, femmes et mamans à exposer leurs corps, alors rejetons-la, car elle ne sied pas à notre culture !

Rafiou Bah