La sortie du Barreau de Guinée continue de faire couler encre et salives. Alors que des mauvaises langues cherchent à résumer la déclaration des hommes en robe à une défense d’Abdoulaye Bah, membre du Bureau exécutif de l’UFDG, Maitre Mohamed Traoré sort la sulfateuse. L’ancien bâtonnier distribue, dans cette tribune, cours de droit et diatribes visant les détracteurs du Barreau.

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Lorsque le Barreau tout entier est mis en cause, il incombe aux institutions ordinales, le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre, de répondre au nom de tous les avocats. Mais en tant membre d’une corporation, il est aussi du devoir de tout avocat de s’exprimer lorsque certains arguments ont tendance à être utilisés pour répondre à des questions strictement juridiques.

Dans le débat sur les décisions du directeur de l’Administration pénitentiaire portant placement sous régime de semi-liberté ou de retrait de ce régime, beaucoup de choses ont été dites et redites. Mais si les uns et les autres restaient dans le strict cadre du débat juridique, chacun se serait rendu compte de la pertinence des critiques faites à ces décisions.

Les deux décisions du directeur de l’Administration pénitentiaire qui soulèvent tant de critiques de la part des juristes et non des lecteurs des livres de droit, posent deux questions :

1- Le régime de semi-liberté ou de placement à l’extérieur ou de libération conditionnelle peut-il s’appliquer à une personne non condamnée ?

2- Le directeur de l’Administration pénitentiaire est-il habilité à placer un détenu sous l’un de ces régimes ?

Voilà les questions auxquelles il faut répondre;  le reste n’est pas digne d’intérêt.

Les réponses à ces questions sont d’une simplicité enfantine. Et d’ailleurs, ce sont de jeunes juristes qui ont été les premiers à y apporter des réponses tirées de nos codes pénal et de procédure pénale. En vérité, aucun juriste ne pourrait contester sérieusement les arguments textuels qui dénient au directeur de l’Administration pénitentiaire toute compétence pour placer en semi-liberté ou en liberté conditionnelle des détenus qui, a fortiori, n’ont pas été condamnés. Il n’y a et ne peut y avoir aucune controverse sur ce sujet. Le débat est tranché par le législateur lui-même. Il suffit d’être juriste, même pas un grand juriste et même pas spécialisé en droit pénal, pour le comprendre.

Par ailleurs, aussi longtemps que des citoyens seront victimes de violations manifestes de la loi dans le traitement de leurs dossiers par des professionnels de la justice, leurs avocats les dénonceront y compris dans les médias. La dénonciation de la violation de la loi et de l’injustice fait partie du large éventail de moyens dont dispose un avocat pour exercer de manière efficace son rôle de défenseur des droits de l’homme au bénéfice de son client.

Dire qu’il y a des avocats qui  » semblent se complaire dans des postures médiatiques narcissiques qui les éloignent du Droit et menacent les intérêts de leurs clients » est une tout simplement un coup d’épée dans l’eau et ne pourra jamais empêcher ces avocats de mettre à nu toutes les absurdités juridiques qui sont légion dans nos juridictions quand il s’agit d’une catégorie de dossiers ou de justiciables.

Le peuple de Guinée au nom duquel la justice est rendue et qui n’est pas forcément présent dans les prétoires, doit nécessairement savoir comment cette justice fonctionne au quotidien.

Il n’y a pas longtemps, c’est le président de l’Assemblée nationale en personne qui déclarait que le justice a du chemin à faire, avec tous les sous-entendus que ces mots cachent.

 » Les icônes médiatiques » que sont certains avocats restent encore et surtout des avocats imbus des principes et règles qui consacrent et protègent les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Ils veillent, en s’appuyant sur les lois nationales, à ce qu’aucune atteinte injustifiée ne soit portée aux droits et libertés qui sont reconnus à tout citoyen. Ce qui est conforme à la vocation première de l’avocat. Le terme  « avocat’  vient d’ailleurs de « ad vocatus » c’est-à-dire celui qu’on appelle à l’aide, au secours ; celui qui porte la parole d’un autre.

En France, l’une des « icônes médiatiques » de la justice est surnommé  » Acquitator » à cause de la centaine d’acquittements à son actif dans des procès d’assises. Eric Dupont-Moretti, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est aujourd’hui garde des Sceaux dans son pays. C’est dire que les interventions d’un avocat dans les médias ne l’éloigne pas du droit et ne menacent pas les intérêts de ses clients. Au contraire, il met à contribution les médias dans son combat contre l’injustice. La publicité autour d’un cas d’injustice et de violation de la loi est l’une des armes les plus efficaces contre celles-ci. La dénonciation d’une injustice est le premier pas dans le combat contre l’injustice. Et nul ne peut nier l’apport inestimable des médias dans le combat contre l’injustice. C’est pourquoi, ils forment ce tandem avec les avocats et les autres défenseurs des droits de l’homme. Bien entendu, tout est question de modération. La modération est l’un des principes cardinaux de la profession d’avocat. C’est l’occasion de relever avec force que jusqu’à preuve du contraire, les clients de ses avocats semblent être satisfaits de leurs prestations aussi bien dans les prétoires que dans les médias. C’est la preuve que leurs intérêts sont bien défendus.

Les avocats que l’on qualifie de chroniqueurs exercent leur profession avec une conscience aiguë de leurs obligations en terme d’éthique et de déontologie. Il suffit de faire une immersion dans le Barreau pour mesurer le respect et la considération dont ils jouissent auprès de leurs pairs à cause justement de leur attachement aux règles de leur profession. Pour des raisons subjectives, ils peuvent bien être confrontés parfois à une certaine adversité de la part de certains de leurs confrères qui, heureusement ne sont pas nombreux, mais ils ont le respect même de leurs adversaires. Mieux vaut être respecté qu’être aimé.

Ceux qui ne veulent pas que des cas d’injustice et de violations intolérables du Droit au sein de la Justice soient portés à la connaissance des citoyens, par l’intermédiaire des médias, vont continuer à souffrir puisque les règles de la profession d’avocat n’interdisent pas aux avocats de s’exprimer dans la presse. Et aussi longtemps qu’il y aura des violations de la loi, elles seront dénoncées. Ce n’est qu’un début. Que cela dérange ceux qui voudraient que ces violations restent entre les quatre murs des prétoires ou soient étouffées, c’est un fait.  Mais l’avocat dispose de la liberté de parole et de la liberté d’expression dans l’exercice de sa profession. Et dans tous les cas, un avocat qui choisit de s’engager dans le combat contre l’injustice n’est jamais bien vu. On le perçoit même parfois contre quelqu’un de dérangeant. Il est brocardé, caricaturé, étiqueté, à tort, heureusement. Ce n’est pas nouveau. Mais tout engagement à un prix et un revers.

Les citoyens qui ont eu maille à partir avec la Justice à un moment à un autre de leur vie savent quant eux ce que vaut l’engagement d’un avocat.

Enfin, il faut éviter de penser que l’on doit se réjouir d’une illégalité dès lors qu’elle arrange. Il n’y a pas d’un côté des illégalités acceptables et de l’autre des illégalités inacceptables.

Des détenus politiques ont bénéficié d’une mesure de semi-liberté pour raison de santé. Il est normal que l’on se réjouisse de la fin de leur privation de liberté, surtout qu’ils étaient détenus pour des faits loin d’être établis. Mais en droit, la forme et le fond vont de pair. C’est pourquoi, des juristes ont dénoncé le procédé utilisé car il s’agit d’une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Un État de droit, ce ne sont seulement des discours, ce sont aussi et surtout des principes auxquels on croit et qu’on se doit de respecter.