Christian-Georges Schwentzel est professeur d’histoire ancienne à l’Université de Lorraine. Ayant étudié la fonction du chef dans l’Antiquité, il s’est arrêté sur le cas singulier de Jules César et y a vu le modèle emblématique de tous les chefs « populistes » de notre XXIe siècle. Dressant un parallèle pétri d’érudition entre César et nos Trump, Bolsonaro, Orban… il ne nous offre rien moins qu’un Manuel du parfait dictateur ! Avis aux amateurs.
Pour l’historien, l’objet de ce qu’on appelle aujourd’hui le populisme (du latin populus, « peuple ») n’est pas de promouvoir une idéologie plutôt qu’une autre. Ce n’est pas non plus servir le peuple. C’est se servir du peuple pour accéder au pouvoir suprême. Ainsi, « Jules César a bien compris l’usage qu’il pouvait faire du « peuple » : la plèbe de Rome méprisée par l’élite, ou encore les habitants des provinces pressurés fiscalement. Il est parvenu à recueillir leurs colères, à fédérer leurs peurs et leurs frustrations pour s’en faire un tremplin absolu. »
Le populisme étant selon lui une stratégie de conquête du pouvoir, Christian-Georges Schwentzel récuse l’opposition entre un discours populiste de droite volontiers xénophobe et une version de gauche plus sociale. Cette opposition « paraît surtout valable pour les leaders populistes de l’Europe occidentale et des Amériques. Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Narendra Modi en Inde ou Rodrigo Duterte aux Philippines, sont-ils plutôt « de droite » ou de « de gauche » ? La question elle-même ne paraît pas très pertinente. » D’ailleurs, en Europe et aux Amériques comme dans le reste du monde, on trouve « d’éloquents exemples pour la relativiser » et montrer qu’un leader populiste peut servir dans le même discours des diatribes sociales, xénophobes et nationalistes : Silvio Berlusconi en Italie, Xi Jinping en Chine, Vladimir Poutine en Russie, Evo Morales en Bolivie, Hugo Chavez au Venezuela, etc.
Sur la base de cette définition, sur un mode mi-sérieux, mi-ironique, l’historien propose dix leçons supposées mener au pouvoir à l’exemple de César, étant entendu qu’on n’est pas obligé de toutes les appliquer ! En voici quelques-unes :
• Se faire le champion du peuple en adoptant ses références, de la même façon que César s’est posé en disciple de Marius, l’idole des populares. Ainsi Chavez s’est-il posé en disciple de Bolivar et Erdogan ne manque jamais de rappeler le passé ottoman.
• Parler net et court, et même vulgaire, à la manière du fameux « Veni, vidi, vici » de César lors de son triomphe consécutif à la bataille de Zéla, en 47 av. J.-C. (« Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »). César sait aussi rattraper un faux pas. La même année, débarquant en Afrique avec ses troupes, il trébuche sur la plage. Craignant que ses hommes n’y voient un mauvais présage, il se relève prestement et montre la terre dans ses mains : « Afrique, je te tiens ! » (« Teneo te Africam »). De ce point de vue, Donald Trump n’a rien à apprendre de son illustre modèle !
• Mettre en scène sa propre histoire comme César avec son récit magistral de la guerre des Gaules ou cette anecdote de jeunesse : il fut un jour enlevé par des pirates. Ceux-ci évaluant sa rançon à vingt talents, il s’indigne et leur suggère d’en réclamer pas moins de soixante. Mais sitôt que sa famille eut payé la rançon et qu’il fut libéré, il arma une flotte, traqua les pirates, les fit crucifier… et récupéra la rançon !
• Divertir le peuple comme César avec les jeux du cirque, financés sur sa cassette personnelle…
Jules César lui-même, notons-le, n’a conservé le pouvoir que cinq ans, de la traversée du Rubicon à son assassinat, mais le mouvement qu’il a insufflé a été suffisamment puissant pour empêcher tout retour en arrière et faire basculer Rome dans une nouvelle ère. Il est vraisemblable qu’il en ira de même de plusieurs chefs populistes contemporains. Il n’est que de songer à Poutine, Erdogan, Xi Jinping et Chavez qui ont transformé leur pays en profondeur, pour le meilleur ou pour le pire.