Dans un colloque à Paris, en 2017, le futur auteur du putsch contre Alpha Condé s’agaçait des « attitudes hautaines » des instructeurs et coopérants militaires.
C’était dans une précédente vie de Mamady Doumbouya, avant qu’il soit nommé chef des forces spéciales guinéennes puis devienne, début septembre, le tombeur du président Alpha Condé. En 2017, cet ancien légionnaire est stagiaire de l’Ecole de guerre, à Paris, et invité à témoigner par l’état-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger (Emsome) sur le thème de « la prise en compte de l’interculturalité dans les actions militaires ».
Le jeune commandant s’adresse, sans filtre, aux universitaires et généraux pour dire ce qu’il pense des instructeurs et coopérants militaires en mission en Afrique. « Les officiers [français] ont un défaut : ils sous-estiment les capacités humaines et intellectuelles des Africains […] Ils ont des attitudes hautaines et se prennent pour le colon qui sait tout, qui maîtrise tout […] On n’est pas aussi à la ramasse qu’ils le pensent », témoigne l’ancien caporal de la Légion étrangère, qui précise avoir au préalable « consulté ses camarades africains de la promotion 25 ».
Au fil de ses onze minutes d’intervention, on entend l’agacement et la frustration tant vis-à-vis des militaires français que des supérieurs au sein des armées de la région. « Les militaires blancs ont plus la confiance de nos dirigeants que nous. Les Français sont souvent conseillers de nos [hommes] politiques, alors qu’un colonel ivoirien qui aura fait le même cursus n’aura pas la confiance d’un dirigeant africain », regrette Mamady Doumbouya.
Et de questionner : « Est-ce que c’est normal qu’un AD [attaché de défense en ambassade] à Paris n’ait pas accès à Emmanuel Macron alors que l’AD [français] à Abidjan, quand il est prêt, il peut voir le président de la République ivoirienne ? »
Un exposé prémonitoire
Frustration aussi face à la différence de moyens octroyés par la hiérarchie. Le colonel dit en avoir fait les frais en 2016, alors qu’il demandait des munitions pour entraîner ses hommes aux tirs. « Je ne les ai jamais eues […] parce que si je prends ces munitions, selon les politiques, je suis capable de faire un coup d’Etat », raconte-t-il dans cet exposé qui peut sembler prémonitoire.
Mamady Doumbouya relate également la défiance parfois ressentie face aux questions posées par les militaires instructeurs étrangers concernant les effectifs et les équipements des armées africaines. « On pense que c’est un peu suspect, que c’est pour du renseignement », dit-il sans ambages. Il regrette au passage que « sur le plan privé, les homologues qui viennent privilégient très souvent les circuits touristiques ; la vie de leurs homologues africains ne les intéresse pas trop ».
Le futur putschiste déplore enfin le manque de moyens engagés par la France ces dernières années, contrairement aux Américains, et termine son adresse en s’interrogeant : « Est-ce qu’on est encore important pour ces gens [les Français] ? »
Laureline Savoye