Attention, attention, ne tombons pas vite dans l’oubli ou l’indifférence face aux crimes commis par le régime Alpha Condé. Le 14 octobre 2019, commençait la résistance contre les velléités d’un troisième mandat en Guinée, avec toutes les conséquences qui en ont résulté. Certes, les attentes des Guinéens pour la mise en place d’un nouveau gouvernement et des nouvelles institutions pour une meilleure conduite de la transition se font de plus en plus pressantes à l’endroit des nouvelles autorités du pays. Il y a lieu de rappeler la nécessité d’inscrire, parmi les priorités, la tenue d’un procès pour ces milliers de victimes de lutte contre le troisième mandat, pour les rétablir dans leurs droits. Une telle démarche aura le mérite d’annoncer le début de la mise en place des fondements d’un véritable Etat de droit en Guinée.
Il faut rappeler que l’opposition à tout projet de troisième mandat pour l’ex-président Alpha Condé a vite acquis l’adhésion de la majorité des guinéens de l’intérieur et de la diaspora. Une opposition qui s’est formalisée sous les auspices du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) qui, tout en attirant l’attention du chef de l’Etat d’alors, sur les graves conséquences socio-économiques et politiques d’un tel projet pour le pays, a aussi interpellé la communauté internationale pour qu’elle oblige ce dernier à respecter la constitution de 2010 et les conventions internationales sur la gouvernance démocratique auxquelles la Guinée a souscrit. Mais en réponse à ces multiples interpellations et mises en garde, l’ex-président de la république a mis en place une politique de répression systématique de toute forme de manifestation citoyenne contre son projet de troisième mandat. Cette répression, dira-t-on «sauvage» qui dépasse tout entendement humain, a fait : plus de 99 personnes tuées par les forces de maintien d’ordres ; des milliers de personnes kidnappées et séquestrées dans toutes les prisons du pays pendant des mois voire des années, sans aucun jugement préalable ou avec des condamnations expéditives orchestrées par des magistrats acquis au pouvoir en place ; des portées disparus ; des personnes contraintes de quitter leurs familles et leur pays pour sauver leur vie. Bref, une tyrannie qui a fini par réduire le peuple à l’impuissance et au silence, avec une restriction systématique des libertés individuelles. Ainsi, en adoptant une nouvelle constitution avec tous les dégâts qui en ont résulté, Alpha Condé a défié le peuple de Guinée et la communauté internationale en se maintenant au pouvoir et en gouvernant le pays avec une main de fer. N’ayant aucune once de sympathie pour le peuple, en plus des mesures économiques et financières drastiques qu’il a prises (augmentation du prix du carburant et ponction de 5% dans le salaire des fonctionnaires) et qui ont davantage appauvri les pauvres citoyens. Il disait à qui veut l’entendre qu’il, je cite «je couperais la queue de celui qui va la faire sortir », une façon de montrer jusqu’où l’homme avait poussé son arrogance et son mépris pour le peuple de Guinée.
Cette déplorable situation qui a été dénoncé par toutes les ONG des droits humains et les organisations internationales, a profondément secoué les fondements de la nation guinéenne et plongé le pays dans une crise sans précédent, marquée par d’énormes pertes en vie humaine ; les graves atteintes physiques et morales des personnes, causant ainsi des handicapés à vie ; la destruction des biens publiques et privées ; une ethnicisations à outrance de l’administration publique ; une paupérisation des citoyens ; la corruption et un enrichissement illicite à outrance de l’élite dirigeante. En écartant toute possibilité de dialogue avec ses opposants, il a plongé le pays dans une incertitude totale. Ainsi, il a fallu un coup de force pour l’enlever au pouvoir, d’ailleurs il faut noter que «c’était la seule et unique alternative qui restait pour sauver le peuple ».
Alors la question qu’il faille se pose est de savoir, allons-nous tourner cette page douloureuse de l’histoire récente de la Guinée, comme c’est le cas des nombreuses violations graves des droits de l’homme que le pays a connu ces vingt dernières années ?
Ne dit-on pas que la non répression d’une infraction (crime ou délit) engendra forcément la commission d’une autre ?
Comme le disait l’écrivain Amadou Kourouma dans son célèbre ouvrage intitulé « le Vote des bêtes sauvages » je cite, « l’impunité, c’est comme une braise qu’on jette dans la savane en pleine saison sèche, on sait où commence le feu, mais on ne sait pas où il va s’arrêter ».
En outre, tout en saluant l’esprit de rassemblement de toutes les filles et les fils du pays, prôné par les autorités de la transition pour bâtir une nouvelle Guinée. Un appel qui s’est d’ailleurs traduit par des actes hautement humains que le chef de l’Etat a pris, comme le fait de : libérer les leaders du FNDC, les acteurs politiques et des nombreux citoyens kidnappés et séquestrés à la maison centrale de Conakry pour leur opposition au troisième mandat (plus de 1000 personnes selon les chiffres officiels) ; reconnaître les bavures commises par le régime Alpha Condé à l’endroit du peuple ; aller prier au cimetière de Bambeto pour le repos des âmes des victimes tuées lors des manifestations contre le troisième mandat. Mais aussi, envoyer une délégation lors de la lecture du saint coran organisée ce Vendredi 15 Octobre 2021 en la mémoire des victimes tombées sous les balles des forces de l’ordre, afin de demander pardon au nom de l’Etat, aux quatre coordinations régionales et aux familles des victimes.
Cependant, toutes ces bonnes actions ne doivent nullement se substituer à une action judiciaire, qui reste et demeure le meilleur moyen de rétablir les victimes dans leurs droits, de lutter contre l’impunité et de s’assurer que des telles bavures n’arriveront pas dans le futur. Comme on aime à le dire souvent, ‘’si nous voulons bâtir une société égalitaire, la justice doit précéder le pardon ’’. D’ailleurs, pour dépeindre ce tableau très sombre de la situation actuelle de notre pays et de renouer avec les valeurs morales et démocratiques, « seule la justice doit être notre boussole », comme l’a mentionné le chef de l’Etat colonel Mamadi Doumbouya, lors de son premier discours à la suite de la prise du pouvoir par l’armée.
La nécessité de faire de la justice l’un des piliers fondamentaux de cette transition est d’autant plus importante qu’elle permettra à coup sûr de :
Moraliser et crédibiliser l’administration publique guinéenne ;
Restaurer la confiance entre les citoyens et l’Etat ;
Réformer la justice en la rendant indépendante, tout en se débarrassant de tout magistrat indélicat ;
Garantir l’exercice des libertés individuelles et collectives ;
Faire de la loi la seule référence dans l’action étatique ;
C’est pourquoi, pour le respect de la mémoire de toutes ces victimes et de la réussite d’un processus de réconciliation nationale. Bref, pour l’intérêt supérieur de la nation, «les autorités de la transition devraient prendre des mesures préventives, pour que les personnes (civile ou militaire) qui sont de près ou de loin associées à ces crimes (de sang et économiques), s’abstiennent de toutes forme de manifestations ou de mouvement en attendant que la justice n’établit leur culpabilité ou leur innocence ». Cela est d’autant plus important, qu’il va dissuader les actuels et les futurs dirigeants pendant et après cette transition de commettre les mêmes bavures, au risque de se voir sanctionner comme leurs prédécesseurs.
Donc, «l’idée de la libération d’Alpha Condé ou de la possibilité de certains caciques de son régime de reprendre librement leurs activités et de tenir des réunions comme si de rien n’était, est un mauvais signal à l’endroit de l’opinion publique voire même de la conscience humaine, alors que les plaies ne se sont pas encore cicatrisées ». Une chose qui risque de semer et de renforcer le doute dans la tête du citoyen sur la réelle volonté des nouvelles autorités, à restaurer la justice et à jeter les bases de la construction d’un véritable Etat de droit. «Raison de plus, que le procès des auteurs de ces crimes odieux et leurs complices ne doit pas attendre. Il doit être la priorité des priorités pendant cette transition, pour apaiser les douleurs de ces victimes et de leurs familles, qui sont profondément touchées dans leurs âmes et dans leurs chairs ».
Pour finir, il faut rappeler que la Guinée a ratifié la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Mieux, elle participe à tous les mécanismes internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme. Donc, elle est tenue de respecter et de faire respecter sur son territoire national, les dispositions de ces conventions et les recommandations issues de ces mécanismes.
Nous devons garder à l’esprit que, la pleine jouissance par les citoyens de leurs droits civils et politiques, ainsi que ceux économiques, sociaux et culturels dans un pays, leur permet à coup sûr d’avoir une bonne éducation, une bonne santé et de s’épanouir. Ce qui va faire d’eux des véritables acteurs du développement et de l’émergence de leur nation.
«C’est la voie que toutes les nations développées ont suivi, pour se développer la Guinée ne pourra pas faire autrement ».
Saïkou Yaya Diallo
Juriste consultant–Responsable juridique et social du FDNC.