15 septembre 2021. Célébration de la Journée internationale de la démocratie, presque dans l’indifférence en Guinée. Pourtant, depuis le 5 septembre 2021, date de prise effective du pouvoir en Guinée par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), c’est le maître-mot sur toutes les lèvres. Quels sont les principes essentiels de la démocratie ? Quelle démocratie pour la Guinée ? Telles sont les deux questions auxquelles nous allons tenter d’apporter de modestes esquisses de réponse.
Quelle est l’essence de la démocratie ?
La démocratie peut comprendre plusieurs acceptions telles que pouvoir du peuple, choix des gouvernants par les gouvernés, soumission de tous à la volonté populaire,… Cependant, le mode de choix des gouvernants par voie électorale, la soumission de tous (gouvernants et gouvernés) au droit et le respect des droits humains constituent les principes substantiels qui fédèrent toutes les opinions. En d’autres termes, la démocratie désigne une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce aux moyens de représentants élus par voie d’élections honnêtes, libres, pluralistes, justes et périodiques dans le but de garantir le respect des droits de la personne et assurer la paix sociale. Les racines de la démocratie sont anciennes et ses principes ont été rappelés tant par des sources universelles, régionales que nationales. Ce sont respectivement la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1977), la Déclaration universelle de la démocratie des Nations unies (1997), la Charte africaine de la démocratie et de la bonne gouvernance de l’Union africaine (2001), le Protocole de la gouvernance et de la démocratie de la CEDEAO et le préambule de diverses constitutions nationales. L’article 21.3 de la DUDH stipule à cet effet que : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. »
Quelle démocratie pour la Guinée ?
En célébrant le 15 septembre de chaque année comme Journée internationale de la démocratie, les Nations Unies ne prennent pas la défense d’un « modèle spécifique de gouvernement mais d’une gouvernance démocratique ». Il appartient ainsi à chaque peuple, tout en respectant les principes sus indiqués, de moduler sa gouvernance démocratique. Avec l’arrivée de nouvelles autorités le 05 septembre 2021 et la transition qui se dessine à l’horizon, il est loisible de se questionner sur la démocratie à bâtir en Guinée. A notre avis, la Guinée peut bâtir sa démocratie autour des points qui suivent.
Le pouvoir exécutif sera dirigé par un Président de la République élu par voie d’élections pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Cette disposition doit figurer parmi les principes constitutionnels intangibles. Il est assisté d’un gouvernement de mission de moins d’une trentaine de portefeuilles aux attributions bien définies et ayant à sa tête un Premier ministre responsable devant l’Assemblée nationale qui peut lui retirer la confiance. En lieu et place d’une chambre pléthorique, une Assemblée nationale de moins d’une centaine de parlementaires, assistée d’une fonction publique parlementaire efficace, constituerait le pouvoir législatif avec possibilité de dissolution par le Président de la République en cas de double persistance législative. Il sera ainsi établi un jeu poids et de contrepoids entre les deux pouvoirs. Un corps de magistrats constitué d’un ordre judiciaire et d’un ordre administratif forme le pouvoir judiciaire. Le contentieux constitutionnel sera intégré à l’ordre judiciaire par le mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité et par voie d’action. L’histoire récente de notre pays – et surtout au regard de son bilan peu honorable – milite en faveur de la suppression de la cour constitutionnelle.
Outre ces trois pouvoirs essentiels, on peut envisager une rationalisation des autres institutionnelles à rang constitutionnel en regroupant tous les organes consultatifs au sein d’une seule institution, dont les membres désignés à parité par le Président de la République et l’Assemblée nationale par moitié et ayant un rôle consultatif avec faculté d’auto-saisine. Il faudra ainsi de facto supprimer le Conseil économique, social, culturel et environnement, le Médiateur de la République et bien d’autres autorités administratives indépendantes, budgétivores et dépourvus de pouvoir. Il en ira de même de la Commission nationale électorale indépendante qui disparaitra au profit d’une administration électorale souple gérée par le ministère de l’intérieur sous le contrôle de juges indépendants. Une institution nationale indépendante des droits de l’homme conçue suivant les Principes des Nations Unies en la matière avec la fin de la prééminence des membres issus de l’administration serait de mise. La démocratie à la base sera envisagée avec une autonomie accordée aux villes et autres collectivités gérées par des mairies élues et dotées de moyens suffisants. Dans l’optique de rationnaliser temps et ressources, on devra envisager des élections générales en deux temps : les élections locales de quartiers, de districts et mairies sur toute l’étendue du territoire national, réinstaurant la démocratie à la base dans un premier temps et des élections nationales (législatives et présidentielles) dans un second temps.
Pour terminer, la Guinée se doit de bâtir une démocratie efficace fondée sur les principes universels d’égalité et de justice, basée sur des institutions solides et dirigées par des autorités légitimes dont la conquête et l’exercice du pouvoir émanent du peuple aux moyens d’élections justes et équitables. C’est le modeste vœu que je formule à l’instar des Guinéennes et Guinéens – pour notre Guinée qui fête ce 02 octobre 2021 les 63 ans de son indépendance. Bonne fête à toutes et tous.
-Juris Guineensis No 14.
Conakry, le 01 octobre 2021
Dr Thierno Souleymane BARRY,
Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour